Est-il exceptionnel de voir de la chaleur dans les régions polaires?
samedi 18 mai 2019Localisation
Le cercle polaire Arctique est une ligne imaginaire correspondant à l'inclinaison maximale de la Terre sur son axe, qui vaut 23° 26' 12,555". De façon plus visuelle, il correspond à l'endroit où, sur un horizon parfaitement dégagé et vu depuis le sol, le Soleil se trouve coupé en son centre par l'horizon hors diffraction atmosphérique, ce qui correspond plus ou moins au soleil de minuit le plus au sud au solstice d'été.
Pour le cercle polaire arctique, cette ligne se trouve à 66° 33' 47,445" N.
©Peter Hermes Furian /123rf
Le 11 et le 12 mai dernier, des records de températures maximales mensuelles sont tombés dans plusieurs villes du nord de la Russie faisant les gros titres de nombreux journeaux et sites d'information. Qu'en est-il vraiment et que penser de ces données?
>localisation des villes et records
32.9°C à Elabouga (République du Tatarstan) le 11 mai
31,2°C à Koynas (Oblast d'Arkhangelsk) le 12 mai
Ces deux villes étant situées à environ 65°N de latitude, nous ne pouvons les considérer comme appartenant aux régions polaires, car elles sont situées au sud du cercle polaire. Si ces valeurs sont remarquables, elles ne correspondent pas exactement aux termes de notre question: est-il exceptionnel de voir de la chaleur dans les régions polaires?
Ilustration de l'évolution de la vague de chaleur dans l'Est de l'Europe entre le 6 et le 14 mai 2019 cartes: meteociel.fr
La présence d'une vague de chaleur proche du cercle polaire est-elle une preuve du réchauffement climatique?
Si les températures anormalement basses pour la saison actuellement mesurées sur l'Europe occidentale n'est qu'un évènement météorologique ne pouvant pas balayer la réalité du réchauffement climatique global, la présence d'une vague de chaleur remarquable à proximité du cercle polaire n'est pas non plus une preuve directe du réchauffement climatique global.
> Une situation météorologique rare
Nous pouvons voir sur les cartes suivantes qu'un pont anticyclonique particulièrement solide lie l'anticyclone polaire et l'anticyclone subtropical. La puissance et la persistance de ce blocage sont deux facteurs expliquant le caractère remarquable de cette vague de chaleur
La chaleur trouve donc son origine dans un contexte météorologique bien défini et n'est pas la conséquence directe du réchauffement climatique global. Le réchauffement climatique global, lui, peut être vu comme "ajoutant" les dixièmes de degrés supplémentaires permettant de battre les records par rapport à la même situation plusieurs années auparavant.
Géopotentiel - température à 1500m et température au sol prévus le samedi 11 mai par GFS - meteociel.fr
la vague de chaleur en question se trouve au centre droit de l'image.
Régions polaires et climat polaire, deux choses différentes
Comme nous l'avons vus, les régions polaires correspondent aux régions situées au-delà du cercle polaire, cependant, ces régions ne correspondent pas forcément au climat polaire, qui est une définition climatologique et non astronomique.
La définition de ce climat est simple, il s'agit d'une zone géographique où le mois le plus chaud ne dépasse pas les +10°C de température moyenne. Compte tenu de la présence d'une forte discontinuité géographique (continents, montagnes, océans et mers) dans l'hémisphère nord, cet isotherme de +10°C présente un tracé très irrégulier dans l'hémisphère nord.
>Nous pouvons voir par exemple que le climat polaire descend très au sud au niveau de la baie d'Hudson. La ville de Moosonee, située à environ 51°N est concernée par un climat polaire! Ce qui correspond à la latitude de... Dunkerque!
>En revanche, nous pouvons constater que de larges zones situées à l'autre extrême au nord de la Norvège comportent un climat continental ou océanique. A Honningsvåg, à plus de 70°N de latitude, nous trouvons une température moyenne de juillet de +11.5°C, soit encore très au-dessus des valeurs inférieures à +10°C nécessaires!
Le climat continental, d'un extrême à l'autre
Intéressons-nous à présent à ces zones de climat continental situées au nord du cercle polaire. Ces régions sont concernées par des hivers très froids et longs mais également par des étés doux et cours. Nous pouvons parler plus précisément de climat subarctique.
Les variations annuelles de température y sont très importantes et les variations à échelle météorologique peuvent être également remarquables. Y voir des coups de chaleur brefs mais marqués fait donc partie de la composante de ce climat!
Ainsi, très régulièrement, la station météorologique de Banak située en Norvège à 70°3'0" N enregistre des températures approchant voire dépassant les +30°C.
Climatologie de l'aérodrome de Banak, Norvège - infoclimat.fr
Malgré les croyances, il est plus probable d'avoir une année comprenant des jours de chaleur qu'une année sans, et ce dans des régions situées plus au nord que la Laponie!
Feu de forêt boréale en Suède à Karbole, le 15 juillet 2018 suite à une intense vague de chaleur et sécheresse - Science-et-Avenir
Quelques données remarquables
> Au cours de la seule année 2018, la station de Båtsfjord (Norvège) située à 70° 32′ 02″ N a dépassé 4 fois les +30°C.
>Honningsvag (Norvège), une ville située à 70° 58′ 33″ N, à 22km au sud du Cap Nord, a enregistré une maximale absolue de +27°C en 1999
>Banak (Norvège) a enregistré une température de +33°C le 19 juillet 2018, ce qui correspond à la plus haute valeur jamais mesurée au nord du 70ème paralèle en Europe
>Ust-Olenek est la station météorologique ayant enregistré le +30°C le plus septentrional au monde avec une maximale de +30.3°C enregistrée le 23 juillet 1988 à 72,97°N.
Le village de Ust-Olenek, au nord de la Sibérie, au bord de l'Océan Glacial Arctique
Conclusion
Selon les zones climatiques, l'occurrence de chaleur est plus ou moins importantes mais d'une manière générale, nous ne pouvons pas dire que les régions polaires soient exceptionnellement sujettes aux journées de chaleur, ni même de forte chaleur (Température maximale supérieure à +30°C).
Ainsi, si les valeurs mesurées le 10 et 11 mai sont exceptionnelles en terme de précocité et en valeurs absolues, elles ne restent que quelques dixièmes de degrés plus hautes que les records précédents à une même période de l'année. Des valeurs d'un tel ordre de grandeur ayant déjà été mesurées à plusieurs reprises dans ces zones lors d'un contexte météorologique similaire.