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Si la vague de froid de décembre 1879 est la première à être
traitée, ce n’est bien entendu pas un hasard. Il s’agit en effet de
l’hiver le plus froid jamais recensé en France (au moins depuis l’hiver
1709). Après un automne 1879 déjà assez froid, le mois de décembre
transforme la France en un pays du grand nord. L’invasion d’air polaire
venue de Sibérie déferle sur le pays le 2 décembre, et cette période
exceptionnellement glaciale se prolongera jusqu’au 28 décembre. Entre le
4 et le 5 décembre, une effroyable tempête de neige balaye toute la
moitié Nord, et la couche de neige atteint en moyenne 30 à 40cm sur le
bassin de la Seine (36cm à Paris contre 60cm en 1709). Sous le poids de
cette neige, le marché St-Martin s’écroule, heureusement sans faire de
victime. Cette couche se maintient jusqu’au début du mois de janvier
1880 et préserve les récoltes en terre, contrairement à la vigne et aux
arbres fruitiers ou forestiers dont un grand nombre se trouvent gelés au
niveau de la neige. Il faut noter que certaines sources font mention
d’une couche de neige de 1,5m à Orléans, Nevers, Lyon et Dijon (mais il
doit plutôt s’agir de congères car le mois n’a pas été particulièrement
humide).
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L’exceptionnelle quantité de neige n’est pas sans poser quelques
problèmes dans les villes, et à Paris, d’énormes chariots stationnent
sur les places, recevant les monceaux de neige que l’on jette dans la
Seine. Comme celle-ci est gelée, il se forme de véritables montagnes de
neige au niveau des ponts, notamment près du pont St-Michel. Au bout de
quelques jours, ces monticules sont si hauts qu’ils arrivent à la
hauteur des tabliers ! Mais ces 4000 tombereaux ne sont pas efficaces et
le service des ponts et chaussées teste une nouvelle machine tirée par
huit chevaux. Les Parisiens s’inquiètent car les ordures s’amoncèlent et
l’on commence à craindre des épidémies. Selon certains écris, si les
magasins de fourrures triomphent dans leurs magnifiques étalages, Paris
prend l’aspect d’un ville Russe triste et sale. « On se croirait dans
quelque cité de la Baltique à Koenigsberg ou à Dantzig », lisait-on dans
le « Petit Parisien ». Un grand silence règne malgré la circulation
(car la neige a la particularité d’être un très bon isolant). Une
circulation des voitures à chevaux qui devient d’ailleurs très difficile
voir impossible. Les animaux glissent très souvent sur les pavés (en
bois ou en pierre) et les accidents sont nombreux. Il faut préciser que
les transports urbains (tramways et omnibus - tous à traction à cheval)
se sont développés au début des années 1860. Partout, le trafic
ferroviaire s’arrête, notamment sur la ligne du Nord où les congères
sont si hautes que les trains sont stoppés en route.
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A Soissons, le train des Ardennes est prisonnier dans le
tunnel de Viergy. En arrivant à l’extrémité du tunnel, l’obstacle
neigeux fut reconnu infranchissable. Le mécanicien fait alors vapeur
arrière, mais il est trop tard, une heure s’est écoulée et l’entrée du
tunnel est, elle aussi, infranchissable. Quelques hommes de bonne
volonté se dévouent pour se frayer un passage à travers la neige et
aller chercher des secours.
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Sauf pour faits de guerre comme en 1871, c’est la première fois
que le réseau ferré connaît une situation aussi difficile depuis son
expansion au milieu du 19eme siècle. La voiture à vapeur fera son
apparition entre 1885 avec la société De Dion – Bouton, mais il faudra
attendre le début des années 1910 pour que l’automobile commence à se
démocratiser.
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Peu à peu, dans des rues quasi désertées en raison d’un froid
polaire, il ne circule plus guère que des traîneaux dont les chevaux
sont garnis de colliers à grelots. Ces modes de transports sont
toutefois réservés à une clientèle plutôt aisée. La marche à pieds est
elle-même périlleuse car d’importants morceaux de glace se détachent
parfois des toits et viennent s’écraser sur les trottoirs; et malgré le
fait que l’on signale quelques accidents mortels, aucunes autres
dispositions ne sont prises pour autant... Les boutiquiers jettent des
cendres sur le bitume pour limiter les glissades et les fractures qui se
comptent par centaines. L’activité économique de la capitale s’en
trouve ralentie à tel point que certains jours, la Bourse n’enregistre
quasiment pas de transactions; la neige retarde ou suspend l’arrivée des
dépêches et du courrier. Pour aider les miséreux, des souscriptions,
des fêtes et des loteries sont organisées. Bien que plus froid que
l’hiver 1870/1871, décembre 1879 est moins traumatisant pour une grande
partie de la population, car elle bénéficie du chauffage qui, était
presque inexistant en 1870/1871 (en raison de la guerre)*…
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*Il faut rappeler qu’en décembre 1870, avec le siège
de Paris et la présence du froid, on en était venu à manger du rat
(vendu 50 à 75c) – le chat étant devenu trop cher pour les pauvres !
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Compte tenu des températures particulièrement basses, des braseros publics sont allumés dans plusieurs centres ouvriers.
Les records de froid sont atteints surtout autour du 10 décembre
(ce qui est d’autant exceptionnel que nous sommes encore en automne…).
La température la plus basse en plaine est mesurée à St-Dié (88) avec
-37°C. par ailleurs, il fait -33°C à Langres, -30°C aux environs de
Nancy, -28°C à Orléans et -25,6°C à St Maur, tout près de Paris. Cette
température mesurée le 10 décembre est la plus basse jamais enregistrée
dans la région, même si des valeurs quasiment identiques avaient été
atteintes exactement 8 ans auparavant. Au cours de l’hiver 1879-1880,
thermomètre parisien est d’ailleurs descendu 22 fois en dessous de
-10°C ! Tous les cours d’eau du Nord, du Centre et de l’Est de la France
gèlent dès les premiers jours de décembre et une retraite aux flambeaux
est organisée sur la Seine, à Paris, le jour de Noël (où la température
descend encore à -17°C). L’épaisseur de glace atteint alors 30cm !
C’est la douzième fois que la Seine est entièrement prise par les
glaces* depuis 1800 (1803,1812,1820,1823,1830,1838,1840,1854,1865, 1867
et 1871). On peut d’ailleurs remarquer qu’au cours du 19eme siècle, le
phénomène est relativement banal et nous verrons qu’il devient
exceptionnel par la suite.
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*Pour que la Seine gèle à Paris, il faut que le courant soit
assez lente (peu de pluie auparavant), que la température de l’eau se
soit graduellement abaissée à 0°C, que des glaçons se soient formés sur
les bords du fleuve et, détachés par le courant , soient charriés à la
surface et se soudent entre eux. Les obstacles (notamment les ponts)
aident à cette congélation totale qui n’arrive qu’après 6 jours au moins
d’un froid persistant de -4 à -8°C (température moyenne journalière).
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On observe également le gel total du lac Léman, d’une partie du
littoral de la Manche et de la lagune de Venise. A Lyon, la couche de
glace atteint 50cm d’épaisseur sur la Saône ! Au début du mois de
janvier 1880, d’importantes débâcles se produisent sur la Loire et la
Seine, occasionnant d’énormes dégâts et des inondations (un peu comme au
Canada ou en Russie). A Paris, le pont des Invalides est emporté par
des glaçons de plus d’un mètre d’épaisseur le 3 janvier. Cet hiver
extraordinaire est suivi d’un mois de mars très chaud ; la température
moyenne dépassant de 4 degrés la normale… Il faut enfin préciser que le
Midi de la France est beaucoup moins durement touché par ces grands
froids.
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Ces informations ont été recueillies par Guillaume Séchet. Toute copie est strictement interdite.
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Copyright 2010. Guillaume Séchet pour meteo-paris.com