Après une fin des années 50 et un début des années 60 reconnus
par la relative clémence de ses hivers, 1962-1963 restera l’un des
hivers les plus marquant du 20eme car le plus long… A Paris, c’est le
plus froid depuis l’hiver 1879-1880. Le gel se généralise dès la
mi-novembre 1962 et persiste avec quelques interruptions jusqu’au début
du mois de mars 1963 (vers le 5). La neige touche une première fois le
pays dans la matinée du 21 novembre où elles provoquent de nombreux
accidents de la route sur le Nord-Pas-de-Calais, la Picardie, l’Ile de
France et toutes les régions de l’Est. Les journaux publient d’ailleurs
des conseils de prudence de manière plus systématique qu’avant. Trois
semaines plus tard, une tempête de neige sans précédent concerne les
Alpes, et des stations de sport d’hiver qui, depuis quelques années,
connaissent une expansion fulgurante, se retrouvent complètement isolées
au moment des vacances de Noël. A Val d’Isère, toutes les automobiles
sont totalement ensevelies. A Chamrousse (au-dessus de Grenoble), 3000
hivernants sont privés d’électricité, et par des températures proches de
-10°C, des studios non plus de chauffage . Inutile de préciser que les
vacances de Noël se transforment alors en cauchemar… Les directeurs de cabaret
doivent faire venir des électrophones fonctionnant sur piles pour ne
pas décevoir les twister du réveillon. Cette tempête de neige dans les
régions montagneuses coïncide avec l’arrivée d’un froid polaire sur
toute l’Europe. Le réveillon de Noël 1962 sera le plus froid du 20eme
siècle avec –15° à Bordeaux et –9° à Biarritz, mais c’est aussi le Noël
le plus animé de l’après-guerre avec une consommation record dans les
grands magasins. 25 cm de neige recouvre Barcelone alors que Marseille
enregistre 30 à 40cm (des épaisseurs légèrement inférieures à celles
mesurées durant le court épisode de janvier 2009). A l’heure des grands
départs, ces intempéries perturbent énormément le trafic ferroviaire
entre Paris et le Sud-est. A Cassis, (lieu de villégiature habituel des
Marseillais du dimanche) plusieurs centaines de personnes restent
bloquées et doivent renoncer à regagner Marseille. Tous les hôtels de la
ville sont alors pris d’assaut.
La guerre d’Algérie vient de se terminer et l’on observe une exode
massive des pieds-noirs vers la France. Habitués aux hivers plutôt doux,
le déracinement est d’autant plus grand lorsqu’ils découvrent un pays
au visage quasiment polaire…. En raison de la neige et du froid qui
règnent sur Marseille, le départ des paquebots « Ville-d’Oran » et
« Hairouan » pour Alger est d’ailleurs retardé d’une journée.
A Deauville, les yachts sont même prisonniers des glaces, et plusieurs
milliers de péniches sont bloquées sur les canaux et les rivières de
France qui gèlent progressivement. Certains fleuves comme le Rhin, le
Rhône et la Seine charrient des glaçons dès fin du mois de décembre
jusqu’au début du mois de mars. Ce phénomène est également observé sur
la Garonne et la Loire quelques semaines plus tard. La période du 12
janvier au 6 février est sans doute la plus rigoureuse car le gel y est
pratiquement permanent et généralisé. Les températures atteignent alors
des niveaux records avec –27° à Ambérieux (Ain), -26° à Vichy et
Moulins, -23° à St Etienne, -23° à Lyon, -18° à Montpellier, -14° à
Dinard et -13° à Paris. La neige réapparaît pour la quatrième fois de
l’hiver à Marseille où l’on mesure encore 20 cm ! Dans l’ensemble, la
presse n’a pas le souvenir d’un froid aussi intense et de conditions
aussi difficiles ; nous ne sommes pourtant qu’à 6 ans du mois de février
1956… Après plusieurs semaines de froid, on n’échappe pas à un problème
récurrent à chaque vague de froid importante, à savoir: la pénurie de
combustibles. Il faut dire qu’avec ce froid, la consommation de charbon
augmente de 40% et celle du fuel, de 100% ! Plusieurs milliers
d’écoliers ou de lycéens bénéficient de vacances forcées parce que leurs
classes en préfabriqués sont insuffisamment chauffées. Au début du mois
de février, de nombreux locataires des H.L.M de Paris n’ont plus de
chauffage et à Hambourg, le Mazout est même vendu au marché noir. L’Union des Vieux de France demande qu’une somme de 300 F soit allouée aux vieillards
pour qu’ils puissent faire face aux rigueurs de l’hiver, ainsi qu’une
priorité pour obtenir du charbon. Comme en 1956 (et au cours des hivers
très rudes), quelques loups venus d’Europe de l’Est réapparaissent aux
confins de la Bourgogne, du Berry, de la Lorraine et de l’Isère. Une
banquise se forme à Dunkerque et à Malo-les-Bains (phénomène récurent
dans ce secteur). Le port d’Ostende est d’ailleurs paralysé, ce qui
provoque une hausse sensible du chômage en Belgique (la situation n’est
pas beaucoup plus réjouissante en France). Le Bassin d’Arcachon est
également pris par les glaces sur près de 2km, mais malgré ce froid, il
est interdit de patiner sur les lacs Parisiens car le seuil a été
remonté à une épaisseur de glace de 15 cm en 1954 à 18 cm en 1962 (on
atteint ici 15cm). Les sportifs se ruent alors dans les rares patinoires
de la capitale, comme celle de la piscine Molitor. En Suisse 50 000
personnes patinent sur le lac de Zurich, qui devient la plus grande
patinoire du monde !
Le 4 février, une tempête de neige paralyse le Languedoc-Roussillon et
la Corse, et des usines s’effondrent sous le poids de la neige près de
Béziers. A Montpellier, on fait appel à des chasse-neige pour dégager la
Place de la Comédie et l’on s’enfonce parfois jusqu’au ventre !
Certaines régions de Corse sont ensevelies sous 2 m de neige, et là
aussi, on fait appel aux chasse-neige (envoyés du continent). Dans
l’Hérault, la température descend jusqu’à -29°C à St-Martin-de-Londres !
Les arbres fruitiers de la région sont anéantis, et les oliviers
replantés depuis février 1956 meurent de nouveau, décourageant ainsi
(parfois à jamais) toute une profession. Même phénomène sur la Côte
d’Azur où, après la catastrophe de février 1956, la production florale
des serres d’Antibes est de nouveau perdue. Les 6 et 7 février, un
redoux gagne très temporairement toute la France (sauf
l’Alsace-Lorraine). La presse espère alors la fin de ces conditions
catastrophiques, mais le froid reprend assez rapidement le
dessus…D’ailleurs la météo Américaine annonce que le froid résistera
jusqu’à la mi-mars, et les 19 et 20 février, de nouvelles chutes de
neige se produisent dans le Nord, puis sur toute la France. On mesure 15
à 20cm de poudreuse en Région parisienne (la chute la plus importante
depuis 1941) et pour la petite histoire, le procès du Petit-Clamart est
retardé à cause des intempéries. Le plateau de Gravelle (en proche
banlieue Parisienne) se transforme en piste de ski, et une compétition
est organisée par les élèves de l’Ecole Centrale. Les pentes du palais
de Chaillot (en face la Tour Eiffel) ou celles de la Vallée aux Loups, à
Clamart, sont également très appréciées.
En mars, le froid cède peu à peu du terrain, et le dégel occasionne des
dégâts considérables car il provoque un soulèvement général du sol des
routes dont les fondations étaient insuffisantes. Le passage des poids
lourds est redoutable, et certains tronçons de nationales disparaissent
complètement.
Durant cet hiver, les travaux du bâtiment sont arrêtés pendant trois
mois. L’agriculture souffre moins qu’en 1956 car le froid, arrivé moins
brutalement, s’installe progressivement à partir de la mi-novembre. Les
blés d’hiver gèlent toutefois partiellement car la couche de neige n’est
généralement pas très épaisse, laissant pénétrer le gel jusqu’à 60 cm
de profondeur. Le nombre de décès directement ou indirectement liés à
ces rigueurs atteint 30 000 en France… Ce chiffre très élevé s’explique
par le fait que l’hiver ait été particulièrement long et qu’il n’y avait
pas eu de froid aussi intense depuis 7 ans.
On notera également que l’hiver est remarquablement froid sur l’Est des
Etats-Unis et du Canada, la Chine, le Japon, la Sibérie et toute
l’Europe occidentale, alors qu’il fait beaucoup plus doux que d’habitude
en Alaska, Islande, Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Inde.