Quelles sont les causes de la mauvaise fiabilité actuelle des prévisions météo ?
mercredi 15 septembre 2021Ces derniers temps, la fiabilité des prévisions météo se montre limitée et les scénarios évoluent régulièrement d'un jour sur l'autre, parfois jusqu'à court terme. Comment expliquer cette instabilité des modèles ?
Une configuration très anarchique
Carte des pressions atmosphériques en Europe le mardi 14 septembre 2021 - via wxcharts.com
Si les prévisions météo sont très changeantes en ce moment, c'est en partie à cause de la configuration générale sur l'Europe. Notre continent est en effet soumis à un marais barométrique. C'est à dire que les pressions ne sont ni élevées ni basses, et ce sur de vastes zones. La carte ci-dessus permet d'identifier très clairement la très faible variation de pressions sur le continent, lesquelles se situent généralement entre 1012 et 1016 hPa.
Lors des situations de marais barométrique, les centres d'action ne sont pas bien définis et aucun flux bien établi n'est à signaler. Les vents, souvent faibles, peuvent donc aisément changer de direction d'une journée sur l'autre et la météo est souvent changeante. À cette saison où il fait encore chaud, les marais barométriques sont également propices à la mise en place de la convection diurne, causant l'apparition d'averses et d'orages. Le temps peut alors être très changeant au cours d'une même journée.
Situation à échelle continentale le mardi 14 septembre 2021 - via ECMWF
En présence du marais barométrique sur une bonne partie du continent, les dépressions qui transitent sur le nord de l'Atlantique et vers la Scandinavie étendent régulièrement des talwegs sur l'Europe, faisant se détacher de petites anomalies d'air frais et instable qui évoluent en dépression de petite dimension et dont le déplacement est assez anarchique : les fameuses "gouttes froides".
En ce moment, une de ces gouttes froides transite au large du Portugal mais une autre est également présente sur les Îles Britanniques, à peine visible car atténuée. Ces petites anomalies dépressionnaires créent un environnement très anarchique et viennent perturber le temps des régions qu'elles survolent. Par définition, leur déplacement est difficilement anticipable à plusieurs jours par les modèles, d'où des prévisions très évolutives...
Cumuls de pluie du mardi 14 septembre 2021 selon le modèle AROME : scénario déterministe (à gauche) et scénario le plus extrême de l'ensembliste (à droite) - via François Jobard / Météo France
Cette fiabilité médiocre des prévisions pose d'autant plus de problème qu'elle a lieu au sein de conditions très instables, et donc potentiellement dangereuses. C'est ce qu'il s'est passé sur le Languedoc le mardi 14 septembre 2021. La veille au soir, les différents scénarios proposés par l'ensembliste du modèle AROME allaient dans tous les sens. Le scénario principal (dit déterministe) ne voyait pratiquement aucun orage mais les scénarios les plus extrêmes modélisaient des valeurs de 300/400 mm entre l'est de l'Hérault, le Gard et la Drôme - preuve de l'important potentiel pluvio-orageux mais aussi des énormes incertitudes. Dans ces conditions, émettre des alertes en avance s'avère plus que délicat pour les météorologues.
Le rôle des restes des ouragans atlantiques
Trajectoire des ouragans Ida & Larry, s'échouant dans l'Atlantique-nord en septembre 2021 - via wikipedia
Nous sommes au cœur de la saison des ouragans sur l'Atlantique. Comme souvent à cette époque de l'année, les phénomènes qui se forment à l'ouest de l'Afrique finissent par être repris par la circulation océanique et terminent leur course sur le nord de l'Atlantique, après avoir touché (ou non) les Antilles, les Caraïbes ou les États-Unis.
C'est ce qui s'est passé au début du mois de septembre avec l'ouragan Ida qui a durement touché la Louisiane avant de terminer sa course sur l'est du Québec ou ces derniers jours avec l'ouragan Larry qui a fini sa course sur Terre-Neuve, jusqu'au sud du Groenland.
Trajectoire de l'ouragan Larry du 9 au 12 septembre 2021, terminant au sud du Groenland - via tropicaltidbits.com
Sur l'animation ci-dessus, on observe que l'ex-ouragan Larry remonte sur Terre-Neuve avant d'évoluer en dépression très dynamique au sud immédiat du Groenland. Si ces phénomènes ne sont plus à état d'ouragan en arrivant sur cette zone septentrionale de l'Atlantique, ils possèdent encore quelques caractères tropicaux avec des masses d'air excessivement douces et chargées en humidité.
Températures à 850 hPa sur l'Atlantique et l'Europe le samedi 11 septembre 2021 - via ECMWF
Dans le cas de Larry, les températures à 850 hPa (vers 1500m d'altitude) atteignaient 16 à 20°C au sud presque immédiat du Groenland, des niveaux très inhabituels pour des latitudes aussi élevées. Ce soulèvement d'air anormalement doux et humide vient perturber les modèles de prévision, qui ont du mal à anticiper le rôle de ces masses d'air sur l'activité dépressionnaire nord-atlantique. Or, les dépressions qui circulent sur cette zone géographique ont une répercussion sur la météo européenne, notamment sur le nord et l'ouest du continent.
Chaque année à la même période, les restes des ouragans atlantiques tendent à entraîner une baisse de la fiabilité des prévisions météo sur le nord-ouest de l'Europe. Celle-ci est plus ou moins nette selon les saisons (en fonction de l'activité cyclonique) mais c'est une problématique bien connue des météorologues.
Trafic aérien réduit : un impact également ?
Comparaison du trafic aérien mondial en 2019 et en 2020 - via Le Parisien
Tous les avions de ligne disposent de sondes météorologiques fournissant des relevés en temps réel, qui sont utilisées et injectées dans les modèles de prévisions. Or, le trafic aérien s'est effondré depuis l'apparition du covid-19 et il n'a retrouvé ses niveaux d'avant de crise. On estime que le trafic aérien mondial actuel reste 2 à 3 fois inférieur au trafic aérien d'avant-covid. Il y a donc une perte non-négligeable de données météorologiques.
Il est toutefois important de préciser que ce paramètre est sans doute celui qui joue le moins dans la fiabilité des prévisions météo actuelles. En effet, les données des avions ne représentent qu'une infime partie des relevés dont nous disposons. De nos jours, les données des stations au sol et celles des satellites sont les plus précieuses - et celles-ci n'ont pas été affectées par la pandémie.