Des gelées peuvent-elles se produire après les Saints de Glace ?
dimanche 8 mai 2022La semaine à venir va marquer la fameuse période des « Saints de Glace ». Selon la tradition populaire, Saint Mamert (11 mai), Saint Pancrace (12 mai) et Saint Servais (13 mai) ont la réputation d'apporter le froid et la gelée, signature d'un ultime sursaut de l'hiver.
Qui sont ces fameux Saints de Glace ?
→ Saint-Mamert, évêque de Vienne et décédé en 475, a institué les Rogations (prières de demande liturgique), rite qui se déroule durant les trois jours précédant l’Ascension, en vue de préserver la campagne des calamités atmosphériques;
→ Saint-Pancrace, martyr, né en 290 et mort à Rome durant la persécution de Dioclétien à l'âge de 14 ans, est le patron des enfants;
→ Saint-Servais, né vers 300 et décédé en 384, fut évêque de Tongres en Belgique.
Ils furent fêtés les 11, 12 et 13 mai par les catholiques jusqu’au concile Vatican II qui les a remplacés par Estelle, Achille et Rolande.
A quelle période sont généralement observées les dernières gelées en France ?
Les dernières gelées sont observées en moyenne entre le début mai et la mi-mai sur un grand quart Nord-Ouest du pays, ne dépassant guère cette période des Saints-de-Glace. Mais plus isolément, les gelées sont encore possibles près des reliefs du Massif-Central, des Alpes, du Jura, des Vosges... mais également en plaine autour des Ardennes.
Certaines régions littorales (Méditerranée, arc Atlantique) n'observent plus de gelées en moyenne passé le début du mois d'avril (elles sont même quasi-inexistantes dès la mi-mars près de la Côte d'Azur).
Date moyenne des dernières gelées significatives en France - Météo-Villes
La fin des gelées après les Saints de Glace : mythe ou réalité ?
Si cette période des Saints de Glace marque l'ultime arrivée des gelées selon la culture populaire, l'histoire climatologique française montre pourtant que des gelées peuvent encore se produire en plaine passé la mi-mai, voire bien au delà.
En 2013, des gelées avaient été observées le 16 mai dans le Nord-Ouest (-2.1°C à Guiscriff (Côtes d'Armor), -0.9°C à Flers (Orne)), ainsi que le 24 mai dans certains secteurs du Nord-Est (-1.2°C à Rocroi (Ardennes), -0.6°C à Rouvroy-Les-Merles (Somme) et à Dourdan (Essonne)).
Températures minimales observées le 24 mai 2013 - Infoclimat
Autre exemple en 1955, où les gelées s’étaient généralisées sur la moitié nord du 20 au 23 mai (-2.4°C à Metz, -2.2°C à Nancy, -1.6°C au Mans, -1°C à Lille, Rouen et Alençon, -0.8°C à Alençon, mais également 0°C à Chartres et Rennes).
Notons des gelées encore plus tardives en 1961, où l'on avait pu mesurer à l’époque jusqu'à -8°C dans la Creuse, -2.2°C à Romorantin (Loir-et-Cher), -2.0°C à Nevers, -1.9°C au Mans, -1°C à Caen, Vichy ou encore Alençon, tout ceci du ... 28 au 30 mai !
Article de presse du 30 mai 1961
N’hésitez pas à consulter notre article dédié aux épisodes hivernaux tardifs du mois de mai ainsi que notre chronique retraçant la plupart des évènements météorologiques de 1850 à nos jours.
Or, les plusieurs décennies de données climatiques montrent que des gelées ont été localement observées en plaine au mois de juin !
La quasi-totalité des départements du Nord-Est ont vu au moins une station de plaine (altitude <500m) mesurer une température négative en juin :
- -3.2°C à Fiers (Pas-de-Calais) le 02 juin 1962
- -3.0°C à Cappelle-en-Pévèle (Nord) le 02 juin 1962
- -3.0°C à Beaulieu (Orne) le 05 juin 1991
- -2.5°C à Rueil (Eure-et-Loir) le 05 juin 1991
- -2.4°C à Charleville-Mézières (Ardennes) le 05 juin 1991
- -2.3.°C à Coullons (Loiret) le 05 juin 1991
Des gelées qui ont même été mesurées jusqu'en Bretagne, ou même sur l'Aquitaine au cours d'un mois de juin :
- -0.5°C à Ploeuc-sur-Lié (Côtes d'Armor) le 09 juin 1989
- -0.5°C à Saint-Symphorien (Gironde) le 02 juin 1975
- -0.5°C à Luxey (Landes) le 01 juin 2006
Températures minimales par département en juin pour des stations de plaine (alt. <500m) - Météo-Villes
Plus loin encore dans la saison estivale, au moins 7 stations de plaine ont observé une gelée... en plein mois de juillet !
- -2.0°C à Dosnon (Aube) le 01 juillet 1962
- -0.4°C à Guichainville (Eure-et-Loir) le 01 juillet 1960
- 0.0°C à Songeons (Oise) le 01 juillet 1960
- 0.0°C à Buxerolles (Vienne) le 09 juillet 1949
- 0.0°C à Lisieux (Calvados) le 31 juillet 1970
- 0.0°C à Saint-Symphorien (Gironde) le 11 juillet 1972
- 0.0°C à Chappes (Puy-de-Dôme) le 23 juillet 1968
Températures minimales par département en juillet pour des stations de plaine (alt. <500m) - Météo-Villes
Ces gelées en juin (ou donc même en juillet) restent toutefois relativement rares, se produisant dans des conditions anticycloniques par ciel clair, et dans des lieux à micro-climat appelés dans le jargon météorologique des "TAF" (Trous A Froid).
En effet, lors de certaines nuits claires (principalement en hiver mais également dans l'inter-saison), lorsque le sol a perdu de la chaleur par rayonnement thermique, la masse d'air située près du sol se refroidit plus rapidement que l'atmosphère environnante, formant ainsi une couche d'air froid bien plus dense d'une épaisseur allant de quelques mètres à plusieurs centaines. C'est ce que l'on appelle le phénomène de "rayonnement thermique".
Schématisation du phénomène de rayonnement thermique - Météo-France
Lorsque le vent est absent et que la nuit est claire, cet air froid bien dense s'accumule dans les fonds de vallée, les combes ou encore les poljés et permet ainsi au thermomètre d'atteindre des valeurs bien encore plus basses près du sol. Ce sont dans ces secteurs que sont en général observées les toutes dernières gelées en plaine chaque année... et même les températures les plus basses chaque hiver !
Certains secteurs français sont reconnus pour leur topographie favorable à des phénomènes d'inversion par rayonnement thermique très marqués en période anticyclonique. Elles sont généralement situées à moyenne altitude entre le Nord des Alpes et le Jura, dont la fameuse et mythique station de Mouthe (-36.7°C le 13 janvier 1968).
Mais en plaine, certaines stations ne sont pas en reste avec des valeurs parfois plusieurs degrés en dessous les villes avoisinantes, cochant les cases de "Trou à Froid" : Mourmelon-le-Grand (Marne), Fontainebleau (Seine-et-Marne), Bourdons (Haute-Marne), Auberive (Haute-Marne), Romorantin (Loir-et-Cher) ou encore Charleville-Mézières (Ardennes) ne sont que des exemples parmi tant d'autres de stations réputées froides avec de fréquentes gelées, très hâtives au début de l'automne et très tardives au cours du printemps.
Schématisation du phénomène de rayonnement dans les secteurs dits "Trou à Froid" - Météo-France
Qu'en est-il pour ces Saints de Glace 2022 ?
Si la chaleur va faire parler d'elle ces prochains jours, celle-ci ne sera pas durable sur les régions les plus septentrionales. A partir du jeudi 12 mai (en pleine période de Saints de Glace), de l'air plus frais devrait envahir les régions situées au nord de la Seine, puis de la Loire au fil des jours. Des conditions anticycloniques avec ciel dégagé qui vont permettre de faire chuter sensiblement les températures au cours de la nuit, via ce phénomène de rayonnement thermique.
Lors du week-end prochain, le thermomètre pourrait donc descendre par endroit sous les 5°C au petit matin sur la moitié Nord. Dans les fameux trous à froid du Grand-Est (Marne, Haute-Marne, Ardennes), il n'est alors pas exclu de retrouver des températures très basses, pouvant très isolément s'approcher de la gelée. L'échéance étant encore bien lointaine, cette situation est à suivre !
Températures minimales modélisées du 12 au 16 mai 2022 - Modèle GFS via WxCharts