Pluies cévenoles : ne pas confondre l'aléa climatique et l'effet réchauffement
vendredi 18 octobre 2024Qu'est ce qu'un épisode cévenol ?
Un épisode cévenol d'une rare intensité a concerné le Sud de la France ces derniers jours, avec des cumuls dépassant parfois les 600 à 700mm en moins de 72h du côté des reliefs ardéchois. Ces pluies intenses ont provoqué des inondations majeures sur les secteurs concernés avec des crues parfois catastrophiques entre l'Ardèche, la Loire, la Haute-Loire et le Rhône.
Importants dégâts à Sainte-Croix-en-Jarez dans la Loire suite aux crues du 17 octobre 2024 – Photographie : Ferme du moulin des chartreux
Un épisode cévenol est caractérisé par des pluies fortes, parfois orageuses, remontant de Méditerranée et persistant durant plusieurs heures voire plusieurs jours sur les reliefs du Sud-Est de la France. Ces pluies sont engendrées par la remontée de masses d'air très humides et instables de Méditerranée, se produisant en général durant l'automne lorsque des masses d'air fraîches en altitude venues de l'Atlantique rencontrent les eaux encore douces voire assez chaude de la Grande Bleue.
La méditerranée est en effet durant cette saison une réserve d'air chaud et très humide qui, lorsqu'une dépression approche par l'Atlantique, est advecté directement vers les littoraux de la Grande Bleue par la mise en place d'un flux de Sud/Sud-Est plus ou moins puissant selon les situations.
Situation propice aux épisodes cévenols/méditerranéens et dates marquantes - Météo-France
Le vent marin de Sud/Sud-Est vient, dans ce type de situation, buter contre les reliefs du Sud-Est du pays, ce qui provoque une élévation locale de la masse d'air humide et instable circulant près du sol, ce que l'on appelle un forçage orographique. L'air soulevé rencontre ensuite de l'air plus frais en altitude et des orages se forment, concernant quasi-exclusivement les reliefs de la région.
Ce type d'épisode peut provoquer des cumuls particulièrement importants sur ces régions mais se cantonnant en général aux reliefs. Dans les plaines, les précipitations sont plus sporadiques, sous la forme d'averses ou d'orages poussées vers les premiers reliefs par un vent marin parfois puissant.
Schéma de la formation d'un épisode cévenol – Tiré du livre MÉTÉO EXTRÊME p101
Si une large partie du Sud-Est du pays est concernée par ce risque d'épisode pluvio-orageux intense en cette saison, il est important de noter que ce sont notamment les abords des Cévennes (Hérault/Gard/Ardèche) qui sont les plus touchés par ces pluies intenses avec de nombreux épisodes recensés sur ces secteurs depuis le début des observations météorologiques.
Nombre de jours de pluie intense entre 1979 et 2008 en France - Tiré du livre MÉTÉO EXTRÊME
Cela n'empêche toutefois pas que des épisodes intenses se produisent également sur le reste du domaine méditerranéen, comme par exemple le fameux épisode du 17 octobre 1940 dans les Pyrénées-Orientales où on avait pu relever jusqu'à 1000mm en seulement 24h ou encore l'épisode du 31 octobre 1993 où 793mm avaient été relevés au Col de la Bavella en Corse-du-Sud.
Des épisodes aggravés par le réchauffement climatique ?
Les épisodes cévenols ont toujours fait partie du climat de la région, se retrouvant, comme évoqué précédemment, en général durant l'automne. Il n'est donc pas si exceptionnel d'observer plusieurs centaines de millimètres sur les reliefs des Cévennes et du Sud des Alpes en seulement quelques jours comme ce fut le cas cette semaine.
Les études sur le sujet n'ont pour le moment pas pu démontrer une réelle tendance à l'augmentation de ce type d'épisode pluvio-orageux intenses typique des régions méditerranéennes ces dernières décennies, ceux-ci se montrant simplement plus ou moins récurrents selon les années.
Intensité annuelle des pluies extrêmes en région méditerranéenne de 1961 à 2018 - Météo-France
Néanmoins, le réchauffement climatique a tout de même un rôle à jouer dans ces épisodes de nos jours. D'une part, celui-ci favorise la survenue de pluies encore plus intenses lors de ce type d'épisode. En effet, un air plus doux/chaud peut contenir plus d'humidité, certaines études ayant mis en avant qu'un réchauffement moyen d'un degré amenait 7% d'humidité supplémentaire dans notre atmosphère.
De ce fait, si ce type d'épisode a toujours été présent dans la climatologie de ces régions, le réchauffement climatique en accentue l'intensité avec des cumuls pouvant se montrer exceptionnels et des crues pouvant l'être tout autant, qui plus est sur des zones encore plus étendues.
24h avant l'évènement du jeudi 17 octobre 2024, la quantité d'eau précipitable était impressionnante sur l'Europe occidentale en raison des températures particulièrement élevées et de l'origine subtropicale de cette masse d'air. Ce facteur était moins présent il y a quelques décennies, et une même configuration n’apportait pas autant de pluie (sans doute 10 à 20% de moins).
C'est dans la région de Mayres (Ardèche) que les cumuls de pluie ont été les plus importants lors de cet épisode. Cette région est évidemment habituée à ce phénomène, mais lorsque l'on regarde le graphique des cumuls maxi annuels en 2 jours depuis environ 100 ans, on se rend compte que le chiffre de 620,8 mm dépasse d'assez loin les précédents et que les pics sont de plus en plus hauts depuis les années 80 (preuve que le potentiel pluvieux de ces épisodes est en augmentation).
Source graphique : Météo data et Guillaume Jausseau
Crue majeure du Gier à Rive-du-Gier (42) ce jeudi 17 octobre 2024 - France Bleu
D'autre part, le réchauffement climatique influe également sur la température de la Méditerranée, qui, on le rappelle, fait office de réserve d'humidité et d'instabilité pour ce type d'épisode. En effet, les canicules successives et de plus en plus fréquentes/intenses durant l'été font surchauffer la mer, qui reste de ce fait plus douce qu'à l'accoutumée durant l'automne.
Évolution des anomalies de température de surface de la Méditerranée entre 1992 et 2022 – Copernicus
En septembre 2024 par exemple, la quasi-totalité du bassin présentait des eaux de surfaces bien plus douces/chaudes que la normale.
Anomalies des températures de surface de la Méditerranée en septembre 2024 – CEAM
Ces eaux de surface rendues plus douces/chaudes que la normale par le réchauffement climatique offrent ainsi un « carburant » (air plus humide et instable) plus important pour ces épisodes cévenols, dont l'intensité est de ce fait accentuée.
L'imperméabilisation des sols
Enfin, un autre élément important mais qui n'est pas lié au réchauffement climatique est l'imperméabilisation toujours plus marquée des sols sur les littoraux méditerranéens. L'urbanisation se montre en effet excessive sur de nombreux secteurs, ce qui, en plus des éléments cités précédemment accentue les risques pour les populations situées près du pourtour méditerranéen.
Si les sols naturels de ces régions sont en général « habitués » à recevoir d'importants cumuls de pluie en un court laps de temps, les sols bétonnés ont quant à eux de bien plus grandes difficultés à absorber les pluies intenses accompagnant les épisodes cévenols et méditerranéens, ce qui engendre régulièrement des situations dangereuses pour les secteurs les plus urbanisés, notamment sur la bordure littorale.
Importantes inondations à Cannes au matin du 23 septembre 2024 – René Tombarel
Les épisodes cévenols ne sont donc pas un fait nouveau du réchauffement climatique, ceux-ci s'étant toujours produits sur le Sud-Est de la France depuis le début des observations météorologiques avec plus ou moins d'intensité.
Le réchauffement climatique a tout de même un rôle à jouer. Si celui-ci ne les rend pas forcément plus fréquents d'après les études menées sur le sujet, il a tout de même pour conséquence d'accentuer leur intensité avec des pluies et cumuls plus importants, touchant également des zones plus étendues.