Du 24 janvier au 21 février 1929, la France (et une grande
partie de l’Europe) connaît sa plus grande vague de froid depuis 1879
(notamment dans le Nord-est où le déficit moyen de température atteint
9°).
Le froid s’intensifie progressivement dans l’Est du pays du 24 janvier
au 10 février, puis il déferle partout, jusqu’au 21 février. Le 11
février, il tombe entre 10 et 20cm de neige de la Bretagne au Lyonnais
et les 12 et 13 février, le froid atteint des intensités records. La
température de l’après-midi du 12 février ne dépasse pas –24° à Clermont
Ferrand, et le 13 février au matin, on enregistre jusqu’à –30° dans la
plaine de la Limagne et -15° à Marseille). Les trois-quarts des régions
sont alors recouvertes de neige, ce qui a pour effet de protéger les
blés des plaines du Nord-est et du Centre ; les récoltes de l’été
suivant seront excellentes. Dans le Midi, on atteint des niveaux de
froid encore jamais connus. Une neige épaisse et tenace recouvre les
rivages de la Méditerranée, causant à l’industrie hôtelière, ainsi
qu’aux horticulteurs, des pertes irréparables. La végétation souffre
beaucoup (surtout celle importée d’Afrique et qui constitue une des
curiosités de la Riviera). Les palmeraies sont décimées, et beaucoup
d’arbres formant la parure des villes méridionales sont détruits. Les
végétaux des autres régions subissent également de lourdes pertes.
Certains arbres se fendent, des noyers périssent en grand nombre, les
rosiers sont. Beaucoup d’arbustes qui conservent leur verdure en hiver
perdent leurs feuilles (magnolias, rhododendrons, lauriers-cerises,
etc...).
De nombreuses rivières Françaises sont entièrement prises par les
glaces, la couche atteignant parfois 0,80 à 1m d’épaisseur ! La Somme
est par exemple entièrement gelée à Amiens, la Meuse est entièrement
figée ainsi que, l’Aisne à Rethel, l’Yonne et la Seine en amont de
Montereau, la Loire et le canal à Roanne, une bonne partie du Rhône
(entre Lyon et Genève) ainsi que la Saône. Si à Paris, la Seine se borne
seulement à charrier des glaçons, sans complètement être prise comme
elle le fut en 1879, c’est que des mesures très sérieuses sont arrêtées
pour empêcher l’embâcle. On baisse les barrages et le fleuve atteint un
niveau tellement bas qu’un peu partout on peut apercevoir le fond de son
lit !
A la campagne, l’eau courante n’étant généralement pas encore installée,
il faut aller chercher l’eau à la fontaine, mais la plupart ne
fonctionnent plus. L’eau de source se prend alors en glace dès qu’elle
quitte son chemin souterrain, et dans bien des fermes, il faut faire
fondre la glace pour la soupe familiale et pour abreuver le bétail.
Comme lors des précédentes vagues de froid, on enregistre un grand
nombre d’accidents par congestion, et la mortalité est importante
(plusieurs milliers de personnes). On trouve même de malheureuses femmes
mortes de froid dans leur lit (La Nature – mars 1929). Les
animaux domestiques sont également touchés. Des coqs ont la crête gelée
alors que pour les poulets, il s’agit des pattes. Des chats et des
chiens succombent au froid. Les bêtes sauvages ne sont elles-mêmes pas
épargnées et un nombre incalculable d’oiseaux de proie et de passereaux
meurent de faim. Quelques-uns viennent jusque dans les fermes, dans les
villages, où l’on peut les prendre à la main sans qu’ils cherchent à
fuir. D’autres sont ramassés entièrement congelés dans les champs.
L’Europe de l’Est et du Sud-est est particulièrement concernée par ces
rigueurs et, une mésaventure arriva aux voyageurs de l’express
Paris-Constantinople quand, à 90 km du but de son voyage, il se vit
bloqué tout à coup par la neige. Impossible d’appeler à l’aide, les
lignes télégrahiques ne fonctionnant pas. Tout d’abord les voyageurs
firent, contre mauvaise fortune, bon cœur. Puis, à mesure que le temps
passait, l’inquiétude monta. Les vivres se trouvant dans le
wagon-restaurant s’épuisaient. Aucun secours n’apparaissait au milieu de
la grande plaine glacée et pour comble, chaque nuit, les loups
surgissaient, rôdant autour du train et menaçant de l’attaquer. Le
service des chemins de fer pu organiser un convoi de secours. Les isolés
furent rejoints, transportés en automobile jusqu’à Rodosto puis
embarqués sur un navire grec qui les amena à Constantinople.
En France, les prix présentés sur le marché flambent de manière
spectaculaire, et aux Halles, les arrivages se font au compte-goutte
avec 50 à 60% des quantités normales de viande, de volaille et de
beurre. Le Petit Parisien du 18 février 1929 note l’arrivée de quelques colis de pomme de terre non gelés (!) venant d’Algérie ou de Californie, se vendant entre 2 et 6 francs le kilo, et des haricots d’Espagne gelés à 8 francs le kilo.
Le préfet de la Seine fait mettre exceptionnellement à la disposition
des malheureux sans abri, les couloirs chauffés, les voûtes extérieures
et les sorties de secours du Métropolitain. Des braseros sont installés
de toute urgence un peu partout dans la capitale avec une distribution
d’aliments chauds plus abondants aux plus démunis. Autre problème :
comme habituellement, un grand nombre d’enfants de travailleurs ne
voient s’ouvrir les portes des écoles que longtemps après que les
parents sont partis pour l’atelier (pas de garderies en ce temps là) ;
du coup, l’ouverture des écoles est avancée de quelques heures.
D’un point de vue plus matériel, on note par ailleurs que des pavages en
bois (nombreux à cette époque) recouvrant certaines voies urbaines se
soulèvent (comme Boulevard Haussmann ainsi qu’à Marseille ou dans
d’autres villes de province). A Strasbourg, les stocks de charbon du
port touchent à leur fin, par suite de l’interruption de la navigation
sur le Rhin. La raréfaction du charbon a pour conséquence, la pénurie de
gaz et l’éclairage des rues est supprimé. Toujours dans les villes les
grands thermomètres (nombreux à cette époque) deviennent des personnages
fort consultés !
A Paris, une grande fête de patinage organisée par « L’auto » (en pleine
expansion à cette époque) a lieu le 17 février sur la glace du lac de
St-Mandé.* A la fin de la manifestation, une catastrophe est évitée de
justesse car les spectateurs envahissent le lac de manière imprévisible,
mais la glace tient bon malgré l’énorme poids de la foule.
Du 26 février au 3 mars, le froid envahit de nouveau toute la France et,
lorsque le 28 février, le froid s’engouffre dans la vallée du Rhône, il
engendre un mistral extrêmement violent qui détruit en partie le réseau
téléphonique et télégraphique en basse vallée du Rhône.
Au terme de ce terrible hiver, on enregistrera pas moins de 50000 décès attribués directement ou indirectement au froid !