Le changement climatique également synonyme de temps plus calme ?
mercredi 10 novembre 2021Si les violentes catastrophes associées au changement climatique font beaucoup parler d'elles, ce dernier induit également une augmentation des périodes de temps calme sur nos régions, dont les conséquences peuvent être importantes.
Le fonctionnement de la circulation atmosphérique
Avant toute chose, il est important de comprendre les mécanismes de la circulation atmosphérique sur Terre. Elle se divise en trois cellules dans chacun des deux hémisphère : la cellule polaire au niveau des pôles, la cellule de Ferrel aux latitudes moyennes (entre 30 et 60°) et la cellule de Hadley aux latitudes plus basses (entre 30° et l'équateur).
Le courant jet - ce puissant couloir de vent circulant à haute latitude - circule de part et d'autre de la cellule de Ferrel. Ce jet stream (son appellation anglophone) apporte une circulation atmosphérique d'ouest en est à nos latitudes moyennes, d'où une influence océanique notable sur le climat Français.
Schéma de la circulation atmosphérique globale sur Terre - image Kaidor via Libération
Le fonctionnement de la cellule de Hadley, située entre l'équateur et le 30ème parallèle, est assez simple : l'air chaud et humide se décharge aux latitudes équatoriales puis s'assèche en remontant vers le nord de la cellule, c'est à dire aux latitudes sahariennes. Ces régions récupèrent un air stable et sec : d'où un climat désertique.
L'archipel des Açores se situe au nord de la cellule de Hadley, dans une zone où l'air est peu instable. Les conditions sont alors réunies pour qu'une cellule anticyclonique y soit présente durant une bonne partie de l'année. C'est ce qu'on appelle le fameux anticyclone des Açores, dont l'influence est bien connue sur le climat de l'Europe de l'Ouest, France incluse.
Schéma de la position classique de l'anticyclone des Açores - via NOAA
La cellule de Hadley remonte !
Le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) rendu public en 2021 s'est penché sur la question de la circulation atmosphérique générale et des changements qu'elle subit, s'intéressant notamment à la cellule de Hadley. Le rapport confirme que cette dernière migre vers le nord (ou vers le sud dans l'hémisphère sud) au fil des années, à raison de 0,5° par décennie.
Schéma de la migration des cellules de Hadley - via kartable.fr
Une migration vers le nord de 0,5° par décennie correspond à un déplacement de la cellule de Hadley d'environ 55 kilomètres en 10 ans. D'ici à la fin du siècle, cela équivaudrait à un déplacement des Pyrénées vers le centre de la France - ce qui n'est pas énorme mais suffisant à l'observation de modifications climatiques.
En toute logique, la lente remontée de la cellule de Hadley engendre également un lent décalage des centres d'action vers le nord. La position de l'anticyclone des Açores tend donc à être de plus en plus septentrionale au fil des décennies, ce qui laisserait à penser que les périodes de temps calme devraient se multiplier à nos latitudes.
Une étude de la société météorologique américaine s'est penchée sur la vitesse moyenne des vents en Europe de l'Ouest au cours de la saison hivernale. La moyenne lissée montre que les vents moyens diminuent lentement au fil des décennies, ce qui prouve la multiplication des périodes anticycloniques en hiver, même si des fluctuations naturelles surviennent logiquement d'une année à l'autre.
Vitesse moyenne des vents durant les mois hivernaux en Europe de l'Ouest depuis 1970 - via American Meteorological Society
Les conséquences néfastes d'un temps plus calme
Augmentation des épisodes de pollution
L'une des premières conséquences visibles des périodes anticycloniques durables est la dégradation de la qualité de l'air. Les études ont montré une augmentation de la fréquence et de la durée des épisodes de pollution aux particules fines au cours des dernières décennies.
Anomalie de pressions et concentration moyenne en particules fines en décembre 2016 - via American Meteorological Society
Ce constat est notamment valable au cours de la saison hivernale où les blocages anticycloniques sont de plus en plus fréquents et où le chauffage constitue une source supplémentaire d'émission de particules fines. Le mois de décembre 2016, qui s'était montré exceptionnellement anticyclone sur l'ouest de l'Europe, avait vu les taux de particules fines s'envoler.
Pollution aux particules fines visible dans le ciel de Paris ce mercredi 10 novembre 2021 - webcam Météo Paris
La situation de ce mois de novembre 2021 illustre parfaitement cette pollution liée aux anticyclones d'automne. La qualité de l'air était dégradée ce mercredi, notamment dans le centre et le nord de la France. La pollution aux particules fines était bien visible dans le ciel de Paris avec l'observation d'une brume grise/marron à l'horizon. La ville a d'ailleurs rendu le stationnement résidentiel gratuit.
Risques de sécheresse accrus
La saison froide est la principale saison de recharge des nappes phréatiques. En d'autres termes, il est nécessaire que des pluies copieuses tombent durant l'automne et l'hiver car c'est à cette époque de l'année que les sols sont les plus perméables et que l'eau atteint les nappes phréatiques en quantité.
Le Doubs quasiment à sec au début du mois de novembre 2018 - photo AFP / Sébastien Bozon
Une multiplication des périodes anticycloniques durant la saison hivernale peut donc considérablement contrarier la recharge des nappes phréatiques. Outre le manque d'eau qui peut se faire ressentir dans l'immédiat, une recharge hivernale insuffisante renforce considérablement la menace d'une sécheresse de grande ampleur si le printemps et l'été suivants venaient à être trop secs...
Évolution de la fréquence des sécheresses selon un scénario d'émissions de CO2 modérées (à gauche) ou importantes (à droite) - European Environment Agency
Les projections climatiques d'ici la fin du siècle s'attendent à une nette augmentation des épisodes de sécheresse importante en France. Même selon le scénario modéré, nous devrions avoir un épisode de sécheresse supplémentaire par an du sud-ouest au Centre, jusqu'à 2 épisodes supplémentaires au sud-ouest selon le scénario pessimiste.
L'augmentation serait plus limitée sur le nord de la France, encore régulièrement concerné par le flux océanique dépressionnaire tandis que l'influence de l'anticyclone des Açores serait de plus en plus nette dans le sud. Ainsi, le contraste nord-sud pourrait s'accentuer, selon certaines projections.
Faune et flore perturbées...
L'augmentation de la fréquence et de la durée des périodes clémentes lors de la saison hivernale vient également perturber la flore. Avec un gel de moins en moins fréquent, certains arbres fruitiers se mettent à fleurir de plus en plus tôt dans la saison. Ainsi, ils deviennent de plus en plus exposés aux gelées tardives - dont la fréquence ne semble pas diminuer ces dernières années.
Lutte contre le gel dans les vignes de Chablis (Yonne) le 6 avril 2021 - photo Titouan Rimbault
Les hivers doux ont également des conséquences néfastes sur la faune. Le cycle d'hibernation de certaines espèces s'en trouve perturbé. D'autres migrent à la recherche d'un climat leur étant plus adapté. Par ailleurs, la raréfaction du gel permet aux moustiques de survivre de plus en plus facilement durant l'hiver, augmentant ainsi leur population l'été suivant. D'ailleurs, le moustique tigre a désormais colonisé les trois quarts de la France...
Carte de l'implantation du moustique tigre en France au 10 novembre 2021 - via vigilance-moustiques.com
Les conséquences évoquées ci-dessus constituent une liste loin d'être exhaustive. Si le changement climatique fait souvent parler de lui pour les chaleurs extrêmes ou les inondations meurtrières qu'il engendre, il ne faut pas oublier qu'une augmentation des périodes anticycloniques et douces peut également avoir des conséquences très néfastes à plus long terme.