Naufrage sur l'A48: polémique entre Météo-France et le préfet de l'Isère
dimanche 3 février 2019Pendant les chutes de neige de la nuit du 2 au 3 février 2019, un nouvel épisode des "naufragés de la route" s'est déroulé sur l'A48, dans le secteur des Terres Froides et notamment du col de Rossatière.
Erreur de prévision? Problème de gestion? Au matin de ce nouvel échec à maintenir un traffic fluide pendant des intempéries hivernales, certains se posent des questions, d'autres cherchent des responsables ou encore des solutions au problème.
Nous ne chercherons pas ici à déterminer qui est responsable, mais à étudier le contexte, pointer les défauts pour qu'ils soient corrigés, et proposer notre analyse de la situation.
Un peu de géographie...
Les Terres Froides sont situées dans le département de l'Isère, au Centre-Est de la France en région Auvergne Rhône Alpes.
Elles forment un ensemble de plateaux et collines de basse altitude comprises entre 400 et 750m environ, entre Grenoble et Lyon. L'autoroute A48 les traversent via le col de Rossatière situé à 569m d'altitude.
http://www.canalmonde.fr
Contexte météorologique
Une dépression nommée Helena se creuse en Méditerranée renvoyant un temps très instable à orageux sur la Méditerranée entre le Sud-est de la France, l'Italie, la Croatie et les Îles (comme la Corse et la Sardaigne). Plus au nord, les précipitations remontent sur de l'air très froid qui s'engouffre au sur le Nord-Ouest de la dépression depuis le continent et les Alpes. La dépression se cale dans le Golfe de Gênes, et les précipitations se bloquent sur les reliefs... Les dés sont jetés pour Dame Nature
Prévision de l'épisode
La veille :
Au sein de l'équipe météo-villes, la situation était mentionnée depuis plusieurs jours, mais de façon détaillée et plus approfondie sur meteo-grenoble.com depuis vendredi 1er février au soir, dans un bulletin spécial annonçant des chutes de neige abondantes dès les premières hauteurs.
Notion également présente sur les organismes officiels, Météo-France annonçant de fortes chutes de neige de plusieurs centimètres par heure dès 400m d'altitude.
Le jour J :
Sur meteo-grenoble.com , la prévision s'affine encore dès les premières heures de la matinée, si la neige n'est pas attendue au sol à Grenoble, les Terres Froides sont nominativement citées dans le bulletin de 7h30 pour d'abondantes chutes de neige.
Cette carte, qui a servi de base à la prévision des quantités de neige mentionne bien la présence de 15 à 30cm de neige sur l'épisode au niveau des Terres Froides.
Météo-France, qui a un fonctionnement indépendant du notre, arrive aux mêmes conclusions. La neige est attendue plus particulièrement à partir de 300m d'altitude et de façon significative dès 400m.
A 10h, la vigilance orange est lancée sur le département, ainsi que cinq autres.
Extrait du bulletin de vigilance de 10h
"Evolution prévue :
[...]
En fin d'après-midi, les précipitation neigeuses passent progressivement à l'est du Rhône.
Ce soir et cette nuit, les départements alpins sont particulièrement exposés. Au-dessus de 400/500 m des intensités neigeuses supérieures à 3cm/h pourront être fréquemment observées.
Les cumuls de neige sur l'épisode atteignent 5 à 20 cm à partir de 400-500 m. Au-dessus de 800-1000 m, les accumulation pourraient atteindre 30 à 40 cm sur le sud du Massif central. Un vent de nord soufflant jusqu'à 50-70 km/h, localement 80 km/h sur les Cévennes à partir de ce soir pourra favoriser l'apprition de congères."
Ainsi que celui de 16h
"Evolution prévue :
En fin d'après-midi, les précipitation neigeuses passent progressivement à l'est du Rhône. Sur l'Isère et les Savoies, la limite pluie-neige initialement vers 600-700 m s'abaisse rapidement vers 500 m.
Ce soir et cette nuit, les départements alpins sont particulièrement exposés. Neige forte au-dessus de 400/500 m. La limite pluie-neige s'abaisse progressivement jusqu'en plaine sur le nord-Isère, la cluse grenobloise, la combe de Savoie, la avants-pays.
Les cumuls de neige sur l'épisode atteignent 5 à 20 cm à partir de 400 m. Au-dessus de 800-1000 m, les accumulations pourraient atteindre 30 à 40 cm sur le sud du Massif central, le vercors et la Chartreuse. En plaine, en dessous de 300 m, la neige, très mouillée pourrait parvenir à blanchir les sols voir déposer 1 à 3 cm localement."
source : vigilance-public.meteo.fr/
Les faits
En soirée, la neige gagne rapidement comme prévu les Terres Froides et des altitudes de plus en plus basses. Pourtant, rapidement la situation dégénère sur l'A48 et, dans une moindre mesure, l'A43, dans le Nord-Isère.
Sur l'autoroute, au coeur de la nuit, les automobilistes restent bloqués avant évacuation entre 1h et 3h du matin. Les images qui nous parviennent font état de la présence d'environ 5 à 10centimètres de neige sur les chaussées, et d'une quizaine sur les bas côtés.
Photographie: Christine MARTINEZ sur twitter
La circulation sera progressivement rétablie ce dianche 3 février aux alentours de 8h du matin dans le sens Grenoble - Lyon et autour de 9h dans le sens Lyon - Grenoble
La polémique
Interrogée sur la question, la Préfecture de l'Isère fait la déclaration suivante dans son communiqué de presse
Un prévisionniste de Météo-France répondra ceci:
" "C'était un épisode très bien anticipé, avec une vigilance orange lancée dès 10H le matin, une demi-journée avant le début de l'événement. Elle mentionnait des chutes de neige intenses, à plusieurs centimètres par heure, dont on sait qu'elles sont problématiques pour la circulation. D'autre part, en raison de la présence de vent sur cet épisode, le risque de congères était également mentionné", a assuré à l'AFP François Jobard, prévisionniste à Météo France."
D'autres soulignent également ce manquement d'attention à la prévision.
Comme nous l'avons étudié précédemment, la prévision officielle fut tout à fait conforme à ce qui avait été prévu. Les plus fortes perturbations ayant eu lieu au niveau des Terres Froides, où les chutes de neige étaient prévues particulièrement conséquentes.
Si la prévision était exacte, quelles ont été les causes de ce calvaire nocturne pour les automobilistes? Nous avons plusieurs réponses à apporter au débat.
-la gestion du trafic et des annonces par caméra est à considérer
En effet, le trafic sur l'A48 comme sur toutes les autoroutes concédées de France est géré par un PC regroupant des données issues de caméra interprétées par intelligence artificielle. Si le contrôleur peut évidemment se renseigner lui-même sur l'état du trafic, les caméras donnent en quelques sorte elles même l'alarme. Hors, les caméras qui gèrent le tronçon de l'A48 sur les Terres Froides sont situées en plaine de part et d'autre de la zone! A 290m pour l'une et 195m pour l'autre contre 569m pour le col!
fond de carte: https://www.geoportail.gouv.fr/carte
Cela veut dire que quand la neige a déjà commencé à tomber au niveau du col, à tenir sur la route et à bloquer les automobilistes, il peut encore pleuvoir et y avoir une circulation fluide sur les deux caméras de contrôle!
Chose remarquée par certains internautes avec le trafic affiché au vert alors que la crise a déjà commencé et ce problème de caméra réccurent est pointé du doigt.
http://www.aprr.fr/fr/preparation_au_voyage/temps_reel/trafic
Le problème est bien en place à l'heure des images malgré un contrôle au vert comme en témoigne le nombre anormalement élevé de véhicules "en panne" sur la carte.
http://www.aprr.fr/fr/preparation_au_voyage/temps_reel/trafic
-Le manque de moyens fournis
Ce point reste discutable compte tenu du contexte, avec une réaction trop tardive sur une route déjà bouchée. La présence de véhicules arrêtés sur les voies empêchant tout simplement la circulation des déneigeuses. Cependant, c'est un point abordé par les personnes présentes sur place.
-Le manque d'équipement de la part des usagers
Comme toujours, de nombreux usagers se sont risqués sur cet axe malgré la vigilance orange communiquée par Météo-France. Les agents chargés d'évacuer les véhicules témoignent comme suit:
"L'A48 avait été coupée entre les échangeurs de Coiranne et de Voreppe, 50 cm de neige étant tombés au col de Rossatière. Une centaine de véhicules, la plupart non équipés, avaient été bloqués et progressivement dégagés entre minuit et 2 heures."
Il est évident qu'un manque d'équipement hivernaux dans ces conditions nuit à tout le processus de maintien de la circulation sur un axe donné. A partir du moment où ces véhicules sont bloqués, parfois avec une infime couche de neige, les déneigeuses ne passent plus, peu importe l'anticipation du phénomène réduisant à néant le travail de plusieurs organismes publics ou privés, et entrainant dans leur sillage des personnes bien plus préparées à affronter ces conditions.
La non obligation d'équipements spéciaux notamment dans les régions à risque reste un vrai problème en France. S'il n'est pas nécessaire de demander à habitant du Finistère de s'équiper pour l'hiver, c'est une toute autre histoire dans les départements de montagne ou du Nord - Nord-Est.
-Le type de neige
C'est une problématique bien connue des montagnards, certaines neiges glissent plus que d'autres. Si une neige sèche adhère plutôt bien et permet de rouler sans encombres, la neige mouillée ou "soupe" est beaucoup plus dangereuse.
Cette dernière forme une pellicule d'eau importante entre le pneu et la route, mélangée à de la neige. Dans ce cas, même les pneux neige peuvent ne pas suffire à rouler correctement et seules les chaines permettent une adhésion correcte à la route.
La neige tombant par une température proche de 0°C suite à des pluies dans la journée, cette fameuse "soupe" redoutée de tous était présente hier soir.
Une épaisse couche de neige saturée d'eau ("soupe") recouvre la chaussée image: https://www.ledauphine.com/
En conclusion, les prévisions ont été correctement gérées par Météo-France et la vigilance lancée plusieurs heures avant le début de l'évènement. Cet organisme n'est donc pas à blâmer pour la gestion de cet épisode. Des facteurs extérieurs à ceux mentionnés par la Préfecture d'Isère sont à prendre en compte, parmis les exemples cités plus haut.
Les éléments responsables sont le manque d'informations en temps réel, combinée à une neige peu favorable et à des comportements individuels irresponsables.