Sable du Sahara : les raisons des erreurs de prévision
vendredi 18 mars 2022Impressionnante limite nuageuse ce jeudi 17 mars 2022 sur le Nord-Ouest de la France - NASA
Poussières de sable et nébulosité : entre prévision et réalité
Ces derniers jours, d'importantes quantités de poussières de sable du Sahara ont été advectées du Nord de l'Afrique vers l'Ouest de l'Europe et la France avec des concentrations particulièrement élevées, notamment sur l'Ouest et le Nord du pays.
Concentration des poussières de sable en Europe le mercredi 16 mars 2022 - Skiron Forecast
Ces grandes quantités de sable ont engendré de grandes difficultés au niveau des prévisions météo en milieu de semaine, notamment entre mercredi 16 et jeudi 17 mars avec des différences importantes entre prévision et ressenti réel sur une large partie de la France.
Sous les conditions globalement anticycloniques et le flux de Sud, la journée du mercredi 16 mars devait se montrer globalement assez agréable sur une large partie de la France avec simplement des nuages plus nombreux sous un front circulant près de la Manche et un ciel plus ou moins voilé ailleurs, voire même plutôt ensoleillé sur le Centre-Est.
Toutefois, la réalité fut bien différente car la couverture nuageuse s'est montrée globalement épaisse et uniforme sur la majorité du pays et un ressenti de ce fait radicalement différent de ce que pouvaient laisser envisager les modélisations au premier abord.
Comparaison entre prévision et observation le mercredi 16 mars 2022 (cliquer sur l'image pour l'agrandir) - carte meteociel.fr & satellite NASA
Cette erreur dans la prévision s'est également répétée le lendemain. Si le voile nuageux avait pu être mieux envisagé par les prévisionnistes, c'est cette fois-ci sa localisation qui a fait défaut. Celui-ci était en effet prévu de se dissiper par le Nord-Ouest avec l'arrivée d'un air plus sec et clair par la Manche mais le sable dans l’atmosphère a permis aux nuages de se maintenir sur de nombreuses régions alors qu'un plein soleil était envisagé. Ce fut notamment le cas de la Loire-Atlantique à la Belgique en passant par l'Île-de-France.
Or, le voile d'altitude épais se superposait particulièrement fidèlement aux fortes concentration de sable encore présentes dans l’atmosphère avec une limite très nette des Pays-de-la-Loire à la Belgique.
Comparaison entre image satellite du Nord-Ouest de la France et concentrations de poussières de sable dans l'atmosphère ce jeudi 17 mars 2022 (cliquer sur l'image pour l'agrandir) – Météo-France et Skiron
Ainsi, alors qu'un temps agréable et printanier devait concerner de nombreuses régions durant cette période, la réalité fut tout autre avec un temps majoritairement nuageux voire complètement couvert et un ressenti bien moins doux qu'envisagé au préalable.
Pourquoi tant d'erreur dans la prévision ?
De telles quantités de sable au-dessus du ciel français ne sont pas communes et arrivent en moyenne une ou deux fois par an.
Le problème de ces poussières est que celles-ci ne sont pas prises en compte par les modèles de prévision météo. Les modèles ne prennent en effet pas en considération les particules fines présentes dans l’atmosphère, sauf que celles-ci peuvent avoir une grande influence sur la formation des nuages si leur concentration est élevée.
Le mécanisme est en effet similaire à la formation des précipitations. En altitude lorsque l'air est froid, les particules de glace s'agglutinent autour de points de condensation et, lorsque leur poids est trop important pour rester en suspension dans l'air, tombent sous l'effet de la gravité.
Lorsque l'air est plus chaud, les molécules d'eau fusionnent dès que leur taille dépasse les 50 micromètres et finissent par tomber vers le sol sous l'effet de leur propre poids.
Mécanisme de formation des précipitations dans un nuage – Schéma visible à la page 76 du livre METEO-EXTREME
La formation des nuages d'altitude dépend du même schéma avec des molécules d'eau dans l’atmosphère se cristallisant dès qu'elles rencontrent un point de condensation (particule fine). Ces points de condensation peuvent être représentés par des particules de poussières, de fumée, des sels marins dont la taille reste minuscule, autour de 0.0002 mm.
Ces nuages d'altitude restent généralement peu épais car situés dans la haute troposphère et dépendant d'une couche d'humidité peu uniforme. Il est donc rare d'avoir une couche de nuage d'altitude opaque sur une large superficie.
Toutefois, la présence de nombreuses poussières de sable dans l'atmosphère engendre une très forte augmentation du nombre de points de condensation disponibles pour la formation de ces nuages. L'humidité de l'air se condense bien plus franchement et facilement dans ce type de situation et les nuages se montrent de ce fait bien plus épais et opaques qu'à l’accoutumée.
Comparaison entre la formation d'un nuage d'altitude « normal » et d'un nuage d'altitude chargé de sable – Météo-Villes
Vu que ces poussières ne sont pas appréhendées par les modèles de prévision, la couverture nuageuse sera donc bien plus épaisse qu'initialement prévu lors d'importantes remontées de particules de sable du Sahara, comme ce fut le cas ces derniers jours.
Des conséquences importantes sur le temps ressenti :
Une couche nuageuse plus importante que prévu a toutefois bien plus de conséquences qu'une simple différence de nébulosité sur le temps ressenti.
Durant ces derniers jours, la différence entre prévision et réalité fut telle que, au lieu d'un ciel plus ou moins voilé mais laissant passer les rayons du soleil, la plupart des régions françaises se sont retrouvées sous un ciel totalement couvert.
Durée d'ensoleillement en France mercredi 16 et jeudi 17 mars 2022 (cliquer sur l'image pour l'agrandir) – Meteociel.fr
Ainsi, l'épaisseur du voile nuageux fut telle qu'aucun rayon du soleil n'a réussi à atteindre le sol sur de très nombreux secteurs durant ces deux journées.
Ceci a donc eu une conséquence sur le réchauffement diurne avec un soleil printanier ne parvenant pas à réchauffer les basses couches contrairement à ce qu'indiquaient les modèles de prévision. Les maximales ce sont donc montrées bien plus basses qu'initialement prévu avec des valeurs restant en moyenne 4 à 6°C inférieures à la prévision.
Comparaison entre températures prévues et observées pour le mercredi 16 mars 2022 – Météo-Villes
Ainsi, nous sommes passés d'une prévision globalement lumineuse avec un ressenti très doux et printanier à un ciel majoritairement couvert et de ce fait des températures ne s'élevant que très peu en journée.
Le même schéma s'est d'ailleurs répété le lendemain, notamment entre les Pays-de-la-Loire et le Nord où le voile nuageux opaque a empêché de nouveau aux rayons du soleil d'atteindre le sol alors qu'un beau soleil était prévu. La délimitation entre air sec et clair et ciel chargé de sable et très voilé fut d'ailleurs très nette sur ces secteurs, marquant une grande différence en terme de ressenti en très peu de kilomètres.
Impressionnante délimitation entre ciel clair et ciel très voilé à Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique) ce jeudi 17 mars 2022 – Via Twitter @DuterlayK
Les remontées de poussières de sable du Sahara dans notre ciel ont donc des conséquences parfois désastreuses en terme de prévision météo. Celles-ci favorisent la formation de nuages bien plus épais que ce que peuvent envisager les modèles de prévision, nuages opaques qui empêchent eux-mêmes aux températures de s'élever plus franchement en l'absence de rayonnement solaire.
Ce type de situation ne se rencontre heureusement qu'assez rarement et la concentration des particules de sable dans l'atmosphère devrait diminuer dans les prochains jours, permettant des prévisions de nouveau plus fiables, même à plusieurs jours de l'échéance.