Trous à froids - À quoi correspondent ces lieux aux températures parfois glaciales ?
dimanche 5 janvier 2025Hier, 4 janvier 2025, des températures glaciales ont été mesurées dans de nombreux endroits de France. Mais plus encore dans certains lieux qui n'ont pas atteint -10 ou -15°C mais bien passées sous les... -30°C !
Notre tweet au sujet de la valeur de la doline de Solaison ce 4 janvier - Twitter/Meteovilles
Sur le réseau normalisé, il a été mesuré jusqu'à :
-33.3°C à la Combe des Amburnex (Jura Vaudois - CH)
-33.1°C à la doline de Solaison dans le Massif des Bornes.
-31.1°C au village de La Brévine à la frontière Suisse
-28.1°C à la Combe de Reculoz dans le Jura
-23.2°C à la Combe de Dabounouse, dans le Massif du Vercors
-27.5°C à Chaud Clapier dans le Massif du Vercors
-26.8°C au Vallon d'Âne dans le Massif du Dévoluy
Températures minimales relevées dans le Jura et ses alentours le 4 janvier 2025 - Infoclimat (réseau partiel MF, StatIC, MeteoSuisse)
Sur des stations où nous avons moins d'informations (Localsat), nous pouvons également noter la valeur de -33.9°C à la Combe Noire, là aussi dans le Jura qui constituerait la valeur la plus basse mesurée en France durant cette nuit glaciale.
Comment des températures aussi froides peuvent-elles être observées en France ?
Une partie du phénomène est explicable par l'effet d'albédo dû à la présence d'une couche de neige au sol.
Albédo selon les surfaces - Wikipedia
Habituellement, le refroidissement de la surface (et donc de l’air à proximité) est limité par le flux géothermique, mais également par le fort albédo du sol qui reçoit fortement le rayonnement infrarouge propre de l’atmosphère (limitant son refroidissement ainsi que celui de l'air à son contact).
Bien qu’invisible, cette forme de lumière est également soumise à l’albédo, de nuit.
Les nuits de pleine Lune sont souvent considérées (à tort) comme plus froides - Une pleine lune la nuit sur un paysage de neige rendra celle-ci très lumineuse et remarquable par rapport aux autres. L'effet d'Albédo indépendant de la Lune tourne alors à plein régime - Vague de froid de février 2012 Illustration et archive Jérémie GAILLARD
La couche de neige agit donc de deux façons, en bloquant le flux géothermique et en renvoyant le rayonnement infrarouge atmosphérique à sa source, et en partie dans l’espace.
Cela engendre un forçage négatif important qui fait chuter la température en surface, et de la masse d’air à son contact.
Vient ensuite l'absence de vent. Comme nous venons de le voir, l'air se refroidit à proximité du sol par contact. Cette pellicule est fine et l'absence de vent limite son brassage. L'air froid reste donc à proximité du sol en plaine, sans être brassé dans l'atmosphère...
Lever du jour sur la plaine enneigée, une couche d'air plus froid se forme près du sol qui se manifeste par des plaques de nuages bas plaqués au sol (inversion de température) - Avallon en décembre 2017 Illustration et archive Jérémie GAILLARD
Dernièrement, il faut la présence d'une dépression topographique. L'air froid situé près du sol s'écoule alors le long des pentes et forme un lac d'air froid dans la dépression. Une couche d'air froid assez épaisse se forme alors, dont la base continue de se refroidir au contact du sol par rayonnement et contact... Il s'agit alors d'un Trou à Froid (abrégé "TAF" en jargon météo).
Lors d'une nuit favorable avec un relief favorable, l'air froid glisse le long des pentes. L'air en fond de vallée, déjà froid, se refroidit alors d'autant plus par rayonnement. Des écarts de 10 à 20°C avec les hauteurs environnantes sont alors fréquentes - MeteoVilles / Jeremie Gaillard
Couche d'air froid au fond d'un TAF matérialisée par une nappe de brouillard givrant dans son berceau de montagnes - Celerina (CH) le 29 décembre 2024 Illustration et archive Jérémie GAILLARD
Méconnaissance médiatique et populaire du phénomène
Hier, notre média a vivement été critiqué par des personnes visiblement peu informées sur le phénomène.
Utilisant des sophismes, tournures insultantes et désinformation, un journal que nous ne citerons pas ici a choisi de décrier les relevés puis, après avoir réalisé le ridicule, a remis en cause la pertinence des relevés dans les Trou à Froid (un "simple trou à froid").
Quel intérêt d'étudier et de relever dans les TAF ? - Le cas de Caille (Alpes-Maritimes)
Comme nous l'avons vu, les TAF se trouvent principalement dans des "dépressions topographiques". Ces dépressions se forment en milieu karstique. C'est à dire avec présence de roches calcaires érodées par l'eau.
On les retrouve autour de l'arc alpin principalement (Jura, Bauges, Charteuse, Vercors, Préalpes de Digne, Préalpes d'Azur...) mais également dans le Massif Central (Grands Causses).
Ces milieux sont très pauvres, secs et impropres aux cultures... Sauf dans les vallées et dépressions topographiques où les limons fertiles s'accumulent, ainsi que l'humidité... Permettant les cultures.
Milieu karstique du Causse de Blandas, Cirque de Navacelles, les cultures se concentrent près du village dans le minimum topographique, plus fertile - Illustration et archive Jérémie GAILLARD
Caille, comme beaucoup d'autres villages, se trouve au bord d'une dépression topographique en raison de sa fertilité. Le village se trouve en limite du TAF, laissant la totalité de la place aux cultures.
Image satellitaire et cartographie de Caille et de sa dépression topographique - IGN
C'est pour cette raison qu'historiquement, les lieux habités ne se situent pas à l'intérieur de la plupart des lacs d'air froid... Et qu'historiquement, les relevés de température situés dans les lieux habités ne s'y trouvaient pas non plus.
Vue globale du TAF de Caille - Illustration et archive Jérémie GAILLARD
Vue interne du TAF de Caille - Illustration et archive Jérémie GAILLARD
Comme nous pouvons le remarquer, nos anciens connaissaient l'intérêt de ces lieux pour l'agriculture. Dans un contexte climatique qui se réchauffe rapidement, les gelées diminuent rapidement sur le réseau principal, moins soumis à ces phénomènes et approchés par l'urbanisation. En revanche, les campagnes restent fortement touchées et donc l'agriculture...
Les exploitations agricoles du Causse de Sauveterre situées uniquement dans des dépressions topographiques - IGN
Actuellement, la taille des exploitations grandit, les décisions sont prises à grande échelle (souvent européenne). Les microclimats, ignorés, vont fatalement mener à des catastrophes agricoles comme nous connaissons déjà.
- Un réseau d'observation inadapté passe à côté des gels tardifs et de la rusticité réelle d'un territoire. Les cas des dernières années doivent nous alarmer sur quoi planter, et où.
- La géomorphologie de notre territoire est telle que les TAF ainsi que les zones plus froides que la moyenne sont présentes sur la quasi-totalité du pays, la question se pose donc à l'échelle nationale.
- Les calamités agricoles dues au gel sont un facteur de risque économique. Nous, contribuables, payons pour ces évènements. Des productions détruites par le gel font également flamber les prix de l'alimentaire mettant en difficulté les plus fragiles.
Le gel printanier, favorisé dans ces zones particulières, sont un fléau de notre climat bouleversé
Le journaliste se documente, puis le journaliste informe. C'est un métier où l'ignorance doit être réduite au minimum et où il faut faire preuve de curiosité. Le sophisme et les raccourcis ne devraient pas y avoir leur place.
Jérémie GAILLARD - Prévisionniste pour MétéoVilles