Après 2 hivers particulièrement doux, une vague de froid
mémorable déferle sur la France durant tout le mois de janvier 1985.
L’intensité de cette vague de froid est comparable à celle du mois de
février 1956, et un froid polaire concerne toutes les régions du 4 au 18 janvier.
Au fur et à mesure que les jours passent, le froid occupe une place de
plus en plus importante dans la vie des Français car nous n’étions plus
habitués à connaître pareille situation depuis des décennies. A force
d’entendre dire que jadis, les hivers étaient plus rigoureux, on
finissait par croire qu’un « vrai hiver » n’était plus possible (même si
le thème du réchauffement climatique* n’est pas encore abordé). D’autre
part, à quinze ans de l’an 2000, la société Française découvre que le
froid peut encore ralentir son économie et occasionner de nombreuses
victimes.
Voici la chronique de cette vague de froid peu banale qui commence
vraiment dans la journée du vendredi 4 janvier où la neige envahie le
Nord et le Centre du pays. Le lendemain matin, le thermomètre affiche
–24° à Luxeuil-les-bains (70) et -20° à Reims alors que l’après-midi, il
ne fait pas plus de –10° sur tout le quart Nord-est.
Dans la nuit du 6 au 7 janvier, une tempête de neige
paralyse toute la moitié Nord mais également le littoral Basque et la
Corse. C’est d’ailleurs à partir du moment où de nombreuses régions sont
couvertes de neige que le froid s’intensifie (un cercle vicieux),
atteignant souvent des valeurs proches de –15° et même -20° à
Mont-de-Marsan. La Côte d’Azur offre un spectacle ahurissant car Nice
est ensevelie sous 40 à 50 cm de neige… La ville est complètement
paralysée et de nombreux Niçois contraints d’abandonner leur véhicule
doivent rentrer chez eux à pied - le ski devenant le moyen de locomotion
le plus adapté. L’aéroport international est évidemment fermé, et la
région (qui devient la moins accessible de France) est tout simplement
déclarée zone sinistrée. Les stations de ski de l’arrière-pays ne sont
paradoxalement pas touchées par la neige, et ce sont les engins de
déblaiement de centres de sports d’hiver qui viennent au secours des
services techniques des villes riveraines, très vite débordées par
l’ampleur de l’événement !
Entre le 14 et le 17 janvier, la vague de froid atteint
son point culminant avec par exemple des valeurs inférieures à –40°
dans le Doubs, -25° à Louviers (Eure), -23° à Troyes, Nevers,
Clermont-Ferrand, -22° à Reims, –18° à Paris et –12° à Biarritz. Dans
une France qui s’est pourtant modernisée depuis les vagues de froid de
1956 ou 1963, les conséquences d’un tel hiver ne sont pas très
différentes et les dégâts sont incalculables. On s’aperçoit d’ailleurs
que le froid est plus meurtrier que la chaleur (comme celle de Juillet
1983). Une très importante surmortalité (9000 morts, soit +12%) est
constatée notamment chez les personnes âgées et les sans-abri (devenus
de plus en plus nombreux depuis le début des années 80). La crise
économique, le creusement du fossé entre les plus fortunés et les plus
pauvres ainsi que l’éclatement des structures familiales expliquent en
partie ce phénomène. Le métro Parisien décide alors d’ouvrir un certain
nombre de ses stations désaffectées (comme St-Martin). D’autre part, il
n’est pas rare que le gazole gèle dans le réservoir des voitures et des
camions, et que les transporteurs livrent le vin et le lait sous forme
de pains de glace ! On ne compte plus les ruptures de canalisations pour
cause de gel, et les inondations qui s’en suivent. La végétation est
également très touchée par ces températures inhabituelles, et les
palmiers gèlent superficiellement sur la Côte d’Azur. Inutile de
préciser que les prix des fruits et légumes flambent ; on en arrive même
à arracher les poireaux au marteau-piqueur ou à la pelle hydraulique
car la terre est gelée sur plusieurs dizaines de centimètres
d’épaisseur. La plupart des cours d’eau se figent et des banquises sont
observées sur le littoral de la Mer du Nord et l’embouchure de la Loire
(comme lors des précédentes grandes vagues de froid). Le 16 janvier,
le pont suspendu de Sully-sur-Loire (Loiret) s’effondre car les filins
lâchent sous l’effet du froid. Trois véhiculent s’y trouvent au moment
de la catastrophe, mais il n’y a heureusement pas de victime. La faune
est également affectée par les rigueurs de ce mois de janvier, et des
centaines de Flamands rose de Camargue meurent de froid, prisonniers des
étangs gelés. Dans le même temps, les coupures d’électricité sont de
plus en plus fréquentes car l’EDF a de plus en plus de mal à faire face à
la demande et tout le monde, éprouve peu ou prou, l’angoisse de la
panne du 19 décembre 1978. La consommation augmente en effet d’année en
année car nos exigences de confort sont de plus en plus grandes (une
manifestation humoristique contre le froid a même lieu au métro
Glacière, à Paris !). Le plus souvent, ce sont les radiateurs d’appoint –
très voraces en énergie – qui font disjoncter les installations. 40 000
personnes sont par exemple privées d’électricité pendant 3 jours dans
le XIe arrondissement de Paris.
Les incendies liés à des problèmes de chauffages mal entretenus ou de
courts-circuits sont nombreux, et une partie de l’hospice de
Grandvilliers brûle - le toit s’écroule sur 26 vieillards cloués dans
leurs lits. Un pâté de maisons du centre historique de Troyes disparaît
également sous les flammes alors que la température frôle les -20°C - à
la fin de l’incendie, l’eau des lances gèle sur les maisons et laisse un
décor impressionnant.
Au cours de cette vague de froid, on remarquera que les conséquences
économiques sont mieux chiffrées qu’auparavant ; en tout cas, les bilans
sont lisiblement transmis à la presse. Nous sommes au milieu des années
80, et face à la crise (surtout présente en 1983), le pragmatisme et la
rentabilité ont pris le pas sur les utopies. On peut par exemple voir
qu’EDF dépense 70 millions de francs tous les jours, et le C.N.P.F
calcule que si tous les salariés ont une heure de retard, cela équivaut à
une perte de 1 milliard de francs pour le pays. C’est dans le bâtiment
et les travaux publics que le froid impose le plus radical des breaks.
Impossible de manier le béton, le ciment, de creuser le sol, de
travailler en plein air. Pendant plus de quinze jours, des milliers de
maçons et plâtriers sont placés en « chômage intempéries », une partie
de ce manque à gagner sera supportée par les Assedic : 800 millions pour
la facture. Après avoir connu « l’impôt sécheresse » en 1976, certains
évoquent une « taxe gel » ; mais elle ne sera pas appliquée.
*Le thème du réchauffement climatique lié à l’effet de serre
n’est pas encore abordé. Au cours de cette vague de froid, on évoque
même les projets de l’URSS pour faire face aux hivers et réchauffer le
pays ! Trois projets incroyables sont envisagés : celui de mettre en
orbite d’immenses miroirs, d’activer la fonte des glaces en répandant de
la poudre noire pour diminuer l’albédo et d’installer un barrage sur le
détroit de Behring qui pomperait les eaux douces vers la banquise…
Savait-on alors que ce processus était probablement déjà en train de se
mettre en place et que cette machine infernale allait devenir l’une de
nos préoccupations majeures quelques années plus tard ?
Témoignage Guillaume Séchet
Nous sommes en Région parisienne, au début du mois de janvier
1985, et cela fait déjà quelques jours que les températures sont
basses, mais rien d’exceptionnel. Quelques averses de neige fondante se
produisent par moments et l’ambiance n’est pas réellement hivernale,
jusqu’à ce fameux 4 janvier… C’était un vendredi et j’étais au collège.
Il était 15h (en cours d’anglais) quand tout à coup, une averse de neige
plus importante que les autres retient notre attention. Le paysage se
met à blanchir de manière spectaculaire et les immeubles situés à 50m en
face ma classe disparaissent derrière le rideau de neige. Une heure
plus tard, à la sortie du cours, rien n’était plus comme avant. On avait
l’impression d’être dans un pays nordique. En seulement une heure, les
températures avaient eu le temps de descendre en dessous de -5°C et le
vent continuait à souffler. Tout était glacé et des voitures étaient
abandonnées sur le bas-côté des routes. La nuit suivante fut dégagée,
mais le thermomètre descendit à -10°C. Le week-end fut polaire: pas plus
de -7°C le samedi après-midi et -12°C le dimanche 6 janvier au matin.
C’est d’ailleurs au cours de cette journée qu’une nouvelle tempête de
neige (beaucoup plus importante que la précédente) frappa notre région
(comme tout le reste de la moitié Nord). Ce n’était que le début d’une
vague de froid historique qui dura près de deux semaine. Dans ma ville
(Les Clayes-sous-Bois), la température la plus basse fut enregistrée le
17 janvier avec -18°C.