Il y a 20 ans, les tempêtes Lothar et Martin dévastaient la France
jeudi 26 décembre 2019Il y a 20 ans jour pour jour, la France était frappée par les tempêtes Lothar et Martin. Régulièrement qualifiés de "tempêtes du siècle", ces deux monstres météorologiques ont ravagé le pays et marqué les esprits.
Réanalyse de la situation entre le 25 et le 28 décembre 1999 avec le creusement et "l'explosion" très rapide des dépressions Lothar & Martin - via Meteociel.fr
Le courant jet : un facteur déterminant
Nous sommes à Noël 1999 et la météo nationale émet un avis de tempête pour le lendemain. Les valeurs annoncées dans les bulletins météo de l'époque sont de 100/110 km/h dans les terres et jusqu'à 130/140 km/h sur les côtes. Tout le monde se prépare alors à une tempête d'intensité assez classique à la saison hivernale.
Seulement, les modèles météorologiques d'il y a 20 ans n'étaient pas aussi performants qu'aujourd'hui. Autre problème - et non des moindres - le courant jet (couloir de vents circulant vers 9000m d'altitude) atteignait des niveaux remarquables sur le proche-Atlantique avec des valeurs de 400 à 500 km/h ! Le creusement de Lothar et Martin s'est fait en phase avec ce puissant courant jet, ce qui a participé au creusement très rapide des dépressions, causant une brutale intensification des vents en surface.
Réanalyse de la puissance du courant jet (vents à 9000m d'altitude) le 26 décembre 1999 à 00h - via Meteociel.fr
C'est alors que la France s'est retrouvée dans le viseur de deux "bombes météorologiques" successives, fonçant vers le pays à une vitesse impressionnante de 100 km/h. Face à cette situation exceptionnelle, les météorologues de l'époque ont souffert d'un manque d'expérience inévitable, lié au caractère absolument inédit de l'événement. Sans modèle suffisamment aguerri pour anticiper la violence des vents, l'épisode a été sous-estimé et la prévention en a été affectée.
26 décembre 1999 : Lothar frappe et surprend !
La vigilance météorologique n'existait pas en 1999. En France, ce dispositif sera instauré en 2001 après que Lothar et Martin aient éveillé les consciences sur les enjeux de la prévention face aux phénomènes météorologiques violents. 20 ans après Lothar, les ingénieurs de Météo France ont simulé ce qu'aurait donné la carte de vigilance du 26 décembre 1999.
Simulation de la vigilance météorologique du 26 décembre 1999 par Météo France
Lothar aurait justifié le placement en alerte rouge de 46 départements français (+ 19 départements en orange). Depuis 2001 et l'instauration de la vigilance météorologique, jamais une alerte rouge n'a été activée sur autant de départements.
Nous sommes le 26 décembre 1999, il fait nuit et Lothar aborde la France par la baie du Mont-Saint-Michel. Le coeur de la dépression circule très rapidement de la Normandie vers les Ardennes durant la matinée, s'éloignant vers l'Allemagne à la mi-journée.
Trajectoire de la dépression Lothar entre le 25 et le 26 décembre 1999 - infographie via Météo France
Au sud immédiat du coeur dépressionnaire, un couloir de vents extrêmement puissants large d'environ 150 km s'enfonce du nord de la Bretagne et de la Basse-Normandie jusqu'à l'Alsace avec des rafales atteignant et dépassant les 150 km/h ! Inévitablement, Lothar fait de lourds dégâts sur ces régions, frappant durement toute la moitié nord (à l'exception de l'Artois).
Estimation et relevés officiels de la vitesse des vents lors du passage de la tempête Lothar - carte Météo France
Les rafales maximales générées par Lothar sont les suivantes :
- 180 km/h à Saint-Sylvain (Calvados)
- 173 km/h à Orly et Saint-Brieuc
- 169 km/h à Paris-Montsouris, Nangis et Toussus-le-Noble
- 166 km/h à Alençon et Melun
- 162 km/h à Magnanville (Yvelines)
- 158 km/h à Dinard et Saint-Dizier
- 155 km/h à Metz, Colmar et Nancy
- 151 km/h à Caen, Orléans, Reims et Villacoublay
- 148 km/h au Bourget et Troyes
- 144 km/h à Chartres, Roissy et Strasbourg
- 140 km/h à Évreux, Rouen et Langres
Du nord de la Bretagne jusqu'en Alsace, les bourrasques de vent se déchaînent pour atteindre 140 à 180 km/h dans l'intérieur des terres, des valeurs encore jamais observées auparavant (et qui restent des records à ce jour).
Dégâts à Paris au matin du 26 décembre 1999 après des rafales ayant atteint 169 km/h en fin de nuit - photo RTL
Alors même que la France se réveille groggy au matin du 26 décembre, la deuxième bombe météorologique - nommée Martin - commence à se creuser au large sur l'Atlantique, sous un courant jet toujours aussi surpuissant...
27 & 28 décembre 2019 : Martin dévaste la moitié sud
Dès le 26 décembre, pendant que les dégâts colossaux et le lourd bilan de Lothar font toutes les unes dans les médias, les météorologues comprennent qu'une deuxième tempête - se creusant rapidement au dessus de l'océan - va frapper le pays dès le lendemain. Cette nouvelle dépression, baptisée Martin, fait l'objet d'un nouvel appel à la prudence.
Cette fois, la météo annonce des rafales atteignant 130 km/h dans les terres et 150 km/h sur les littoraux. C'est plus que pour Lothar mais une fois de plus, la réalité va dépasser de loin la prévision.
Simulation de la vigilance météorologique du 27 décembre 1999 par Météo France
Martin aurait justifié le placement en alerte rouge de 35 départements français et d'Andorre (+ 16 départements en orange).
Nous sommes le 27 décembre 1999 et à la mi-journée Martin approche de nos côtes. Le coeur de la dépression touche terre sur le sud de la Bretagne en fin d'après-midi (pression de 965 hPa) et s'enfonce sur le centre de la France durant la soirée, terminant sa course en Suisse durant la nuit suivante.
Trajectoire de la dépression Martin entre le 27 et le 28 décembre 1999 - infographie via Météo France
C'est au sud du coeur dépressionnaire que les vents se déchaînent, frappant de plein fouet le centre-ouest de la France puis un large quart sud-ouest en incluant le Massif Central. En fin de nuit et dans la matinée du 28 décembre, une dépression liée à Martin s'est creusée dans le golfe de Gênes, donnant lieu à des vents tempétueux sur la Corse.
Estimation et relevés officiels de la vitesse des vents lors du passage de la tempête Martin - carte Météo France
Les rafales maximales générées par Martin sont les suivantes :
- 198 km/h à Saint-Denis-d'Oléron et sur l'Île de Ré (valeur maximale de l'anémomètre)
- 194 km/h à Royan et Conca (Corse)
- 176 km/h au Cap Ferret (où le vent moyen a atteint 133 km/h)
- 166 km/h à Biscarrosse et Milliau
- 162 km/h sur l'Île d'Yeu
- 158 km/h à Cognac, Clermont-Ferrand et La Rochelle
- 155 km/h à Bastia
- 151 km/h à Leucate et Rodez
- 148 km/h à Limoges
- 144 km/h à Bordeaux & Niort
- 140 km/h à Bergerac, Carcassonne, Pau, Perpignan, Poitiers et La Roche-sur-Yon
De nombreux records de vent sont établis sur un très large quart sud-ouest de la France durant la soirée et la nuit du 27 au 28 décembre. Les puissantes rafales occasionnent des dégats considérables qui laissent place à la sidération le 28 décembre au réveil.
Dans l'unique département de la Gironde, Martin a abattu 20 millions de mètres cube d'arbres - les dégâts à la végétation sur tout le quart sud-ouest et le Massif Central sont d'une ampleur inédite - photo via Sud-Ouest
Un bilan extrêmement lourd
Ces tempêtes historiques ont généré des vents dignes d'un ouragan de catégorie 1 (voire même de catégorie 2 dans certains secteurs) ! Les valeurs de vent et les dégâts qu'elles ont causé en font deux véritables "ovnis" météorologiques, se détachant très largement de toutes les autres tempêtes observées en France depuis le 20ème siècle.
Indice de sévérité des tempêtes en France depuis 1980 - Lothar et Martin se détachent très largement de toutes les autres tempêtes majeures - via Météo France
En France, le bilan humain de Lothar et Martin est tragique. Avec 92 morts dans l'hexagone, il s'agit de l'événement climatique le plus meurtrier de l'histoire récente du pays. Jusqu'à 3,5 millions de foyers ont été privés d'électricité, dont certains pendant de longues semaines.
Toiture d'immeuble arrachée par la tempête Lothar dans le Calvados où les vents ont atteint 180 km/h - photo Maxppp
Outre le bilan humain, les dégâts sur la végétation furent immenses, dont les effets sont encore visibles de nos jours (des campagnes de reboisement avaient été lancées après la catastrophe). On estime que les deux tempêtes ont abattu environ 6% des forêts métropolitaines, soit environ 270 millions d'arbres.
Le patrimoine a également été fortement touché. De nombreux bâtiments historiques ont été endommagés voire détruits par les vents violents. Le coût des dégâts est inimaginable, situé autour de 10 milliards d'euros selon certaines estimations.
Au delà des dégâts, c'est toute une génération qui a été marquée à vie par ces événements météorologiques extrêmes. 20 ans après, ceux qui ont vécu Lothar et Martin n'ont rien oublié de la violence de leurs rafales de vent.