Pourquoi fait-il si doux depuis le début de l'hiver ?
mercredi 19 février 2020L'ensemble de l'Europe vit un hiver excessivement doux. Plusieurs facteurs liés les uns aux autres expliquent ces anomalies douces, résultant notamment d'une domination sans partage des vents d'ouest depuis le début du mois de décembre.
Un flux océanique omniprésent et incisif
Depuis le début de l'hiver, le flux océanique a outrageusement dominé les débats sur le continent européen, apportant avec lui des masses d'air doux et fréquemment humide. L'omniprésence de ce flux zonal (vents d'ouest) ressort particulièrement au travers de l'indice d'oscillation nord-atlantique.
L'indice d'oscillation nord-atlantique (NAO) est calculé via la différence de pression entre les Açores et l'Islande. Traditionnellement, les dépressions sont présentes vers l'Islande et les hautes pressions vers l'archipel des Açores. Plus cette tendance est marquée, plus la circulation zonale (vents d'ouest) le sera. On parle alors de régime de NAO+.
À l'inverse, plus la différence de pression entre anticyclone et dépression est faible et plus le champ de pression sera relâché sur l'Atlantique. On parle alors de régime de NAO- avec un ralentissement du flux océanique pouvant entraîner des flux nordiques ou continentaux avec un temps froid sur l'Europe (du moins l'hiver).
Indice d'oscillation nord-atlantique observé depuis l'automne dernier et prévu jusqu'à début mars - via NOAA
Comme on peut le constater sur le diagramme ci-dessus, l'indice d'oscillation nord-atlantique a été positif durant la quasi-totalité de l'hiver météorologique, témoignant d'un flux océanique omniprésent et parfois très incisif. On observe plusieurs périodes au cours desquelles la tendance positive a été nette, favorisant un temps doux et agité sur l'Europe.
Schémas des principaux régimes de temps sur l'Europe au cours de l'hiver actuel - Météo Villes
La circulation zonale (flux océanique) a dominé outrageusement l'ensemble de l'hiver météorologique 2019-2020. Un puissant courant d'ouest à sud-ouest a souvent été observé de l'ouest du continent jusqu'à la Russie avec douceur et humidité. À Moscou, la température moyenne sur l'hiver météorologique devrait être faiblement positive, ce qui est une première depuis le début des relevés (écart thermique de +6°C à la normale sur l'ensemble de l'hiver) !
Même lorsque l'anticyclone pousse un peu plus vers le nord (comme ce sera le cas en seconde partie de semaine), son positionnement des Açores à l'Europe Centrale et aux Balkans maintient un flux océanique de secteur sud-ouest, tenant l'Europe à l'écart des masses d'air froid et favorisant même la remontée d'air très doux venu du nord de l'Afrique.
Un vortex polaire particulièrement concentré
Depuis le début de l'hiver, le vortex polaire (dépression d'altitude de vaste dimension située au niveau du pôle) est resté particulièrement concentré (ou stable), se cantonnant aux hautes latitudes et ne laissant s'échapper que très peu de coulées froides vers nos latitudes moins élevées.
Modélisation des géopotentiels valable le 22 février sur l'hémisphère nord, mettant en évidence un vortex polaire très concentré - via meteociel.fr
Lorsque le vortex polaire est aussi peu chahuté, le jet stream (puissant courant d'ouest en altitude) peut circuler tranquillement au sud de ce dernier en faisant le tour de l'hémisphère nord et apportant des vents d'ouest très bien établis aux moyennes latitudes.
Modélisation du jet stream (couloir de vents violents en altitude) valable le 22 février - via meteociel.fr
Un jet stream puissant et bien établi est synonyme de temps agité et doux. Tous les éléments cités précédemment vont de pair. Un vortex polaire concentré favorise un jet stream puissant jusqu'à nos latitudes ce qui entraîne un flux océanique très présent sur le continent européen et donc un indice de NAO positif.
Quelle configuration conduit à un hiver froid ?
En toute logique, il faut une configuration générale opposée à l'actuelle pour favoriser un hiver froid sur le continent européen, et ce à échelle de l'hémisphère nord.
Schémas du vortex polaire en situation actuelle (à gauche) et lorsqu'il est instable (à droite) - via Insider Inc.
En situation actuelle, le vortex polaire est stable et concentré au niveau du pôle (schéma de gauche ci-dessus), favorisant les vents d'ouest vecteurs de douceur. Pour que des descentes froides surviennent vers nos latitudes moyennes, il faut que le vortex polaire soit instable, c'est à dire attaqué par des pulsions d'air doux remontant vers les hautes latitudes (schéma de droite ci-dessus).
Lorsque le vortex polaire est ainsi attaqué, le flux d'ouest ralentit et le jet stream devient ondulant, tout en faiblissant. Ces ondulations vont alors favoriser les décrochages d'air froid venu du pôle, lesquels peuvent envahir le continent européen ou l'Amérique du Nord en provoquant des épisodes hivernaux plus ou moins marqués.
Situation à échelle européenne lors de la vague de froid de février 2012 - carte Wetterzentrale
Lorsque le ralentissement du courant océanique est important et qu'un anticyclone polaire parvient à se former (comme vers la Russie), il arrive que la circulation zonale s'inverse et que les vents soufflent de l'est vers l'ouest sur l'Europe, comme ce fut le cas lors de la vague de froid de février 2012 (carte ci-dessus). On parle alors d'une situation de NAO négative.
Si la configuration évoquée ci-dessus est souvent nécessaire pour générer une vague de froid, des conditions hivernales peuvent être observées en Europe et en France sans que la mécanique ne soit si bien rodée. Lorsque le vortex polaire est instable, des décrochages d'air froid peuvent plonger vers notre pays et apporter un temps hivernal durant plusieurs jours. Une situation que nous n'aurons quasiment pas vu de l'hiver...
Bien que cet hiver doux s'inscrive dans un contexte de réchauffement climatique, il ne faut toutefois pas oublier la variabilité du climat. Nous avons déjà - par le passé - connu des hivers largement dominés par la douceur (1975, 1990, 1995 pour ne citer que quelques exemples).